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Iskander ; mais rien ne prouve que ce fût la véritable sépulture du fils de Philippe. Une légende arabe, rapportée par Edrisi, plaçait le tombeau d’Alexandre dans une île lointaine, aux extrémités de l’Occident, au milieu d’une mer ténébreuse. Il est remarquable que l’imagination des peuples ait rêvé pour le tombeau d’Alexandre ce que la destinée a fait pour le tombeau de Napoléon. L’histoire, cette fois, avait égalé en poésie la légende, et, chose étrange, cette poésie que la fantaisie orientale avait créée pour son héros, nous en avons dépouillé le nôtre.

En avançant de l’est à l’ouest, on marchait de la ville grecque vers la ville égyptienne. On trouvait l’éminence où la colonne marque encore l’assiette de l’acropole, du Sérapéum et de l’ancienne Alexandrie, nommée Racotis ; enfin tout-à-fait à l’occident, la ville des morts, la nécropole. Les Égyptiens avaient toujours une ville des morts à côté de la ville des vivans, et toujours elle était située à l’ouest, comme ici. Cette habitude tenait à leurs croyances. Ils plaçaient dans la région où le soleil se couche la demeure des ames, et ils exprimaient par le même hiéroglyphe et par le même mot, amenti, cette demeure mystique et la région du couchant. À l’ouest d’Alexandrie était le faubourg où Strabon vit les sépultures et les maisons pour l’embaumement des morts. Ce quartier correspondait au Mnémonium de Thèbes, qui renfermait le même genre, de bâtimens, et qui était situé aussi à l’ouest de la ville, sur le bord occidental du fleuve. À Alexandrie, ce lieu est appelé long-temps le lieu des sépulcres. Les chrétiens continuèrent à y enterrer leurs morts, et saint-Pierre, patriarche d’Alexandrie, s’y bâtit un mausolée. Encore aujourd’hui on montre, à l’ouest de la ville, les catacombes, vestiges de l’antique nécropole. Le style grec y règne, mais légèrement modifié par les influences égyptiennes.

Alexandrie offre un des plus curieux, exemples des déplacemens qu’amène la décadence des villes. Rome presque tout entière est descendue de ses sept collines dans le champ de Mars, Syracuse s’est renfermée dans l’île d’Ortygie, Agrigente s’est retranchée dans son acropole. Alexandrie a eu un sort plus singulier ; elle s’est réfugiée sur l’Heptastade, cette chaussée qui l’unissait à l’île de Pharos, et qui a été élargie considérablement par les sables et les débris accumulés à sa base. C’est un peu comme si Cherbourg se transportait un jour sur sa jetée.

La ville d’Alexandrie, de tout temps étroite pour sa longueur, a été se resserrant toujours. Le manteau d’Alexandre décroissait rapidement sous le tranchant du sabre de Mahomet, la ville arabe ne formait que le tiers de la ville antique ; enfin on a taillé dans le manteau rogné par le ciseau des siècles un dernier lambeau, et ce lambeau, c’est la ville turque, l’Alexandrie de nos jours. La population d’Alexandrie a varié avec son étendue. Au temps de Diodore de Sicile, elle comptait 300,000