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études morales. N’est-ce pas en effet un problème étrange, et qui mérite d’être approfondi, que cette éternelle contradiction qui éclate, dans la vie des artistes et des poètes, entré le fait et l’idée, entre les œuvres et les actes ? Il nous semble que Buffon a commis une lourde erreur en affirmant que le style, c’était l’homme - erreur peut-être volontaire, car il parlait devant des académiciens qui venaient de lui donner leur voix, et ces sortes de dettes ne s’acquittent guère que par des flatteries. — S’il s’agissait de trouver des argumens sérieux contre cet aphorisme, les exemples ne manqueraient pas : l’antiquité nous donnerait ses philosophes, démentant souvent par leur conduite les maximes les plus formelles de leurs ouvrages ; le moyen-âge nous donnerait ses mystiques et ses moines, prêchant la pauvreté individuelle et travaillant sans cesse à augmenter leurs richesses collectives, écrivant de beaux traités sur le renoncement et passant leur vie en procès pour la pêcherie d’une rivière ou la dîme d’un champ de blé ; enfin, dans la série des poètes, on aurait souvent occasion de réfléchir sur ce vers :

« L’idéal tombe en poudre au toucher du réel, »


et de reconnaître que les rêveurs, quand il s’agit de leurs intérêts, tout aussi positifs que les procureurs.


— HISTOIRE DE BEZIERS, par M. H. Julia[1]. — Il n’est guère aujourd’hui de province et même de ville qui ne voie écrire ses annales par quelque plume indigène. L’histoire de la ville natale est le début assez ordinaire des jeunes écrivains dans la carrière de l’érudition. Si le talent fait défaut, on a au moins le mérite du patriotisme et d’un devoir filial rempli ; si la renommée se tait au dehors, on s’en console intrà muros. Les applaudissemens du coin du feu et les ovations académiques de l’endroit forment une suffisante et légitime compensation. Au demeurant, il serait injuste de ne pas reconnaître dans un grand nombre de ces premiers essais une utilité réelle. Quelque incomplètes que soient pour la plupart ces premières tentatives d’un talent inexpérimenté, elles apportent à la science une certaine somme d’élémens nouveaux, des matériaux quelquefois précieux. Ce n’est pas l’ardeur des recherches et la consciencieuse investigation des vieux dossiers qui manque aux jeunes auteurs. Ils pécheraient plutôt par l’excès contraire. En outre, l’étude des monumens, faite sur place, aura toujours un mérite, particulier de fidélité et de réalité.

M. Henri Julia, à ce qu’il paraît, a vu le jour dans la douce cité de Béziers. C’est un bonheur qu’un poète latin célébra autrefois avec quelque emphase. M. Julia a voulu s’en montrer reconnaissant, et il s’est fait le chroniqueur de l’antique Biterra. Béziers, fondée à ce que l’on croit par des Phocéens de Marseille, et enclavée dans le territoire des Volces-Tectosages, reçut vers 117 avant Jésus-Christ, une colonie romaine formée de la septième légion. Florissante au IVe siècle, saccagée par les Vandales, les Visigoths et les Sarrasins dans les siècles suivans, elle parvint, sous les premiers Capétiens, à une haute prospérité, à laquelle la guerre des Albigeois porta un coup mortel. Prise d’assaut par l’armée de Simon de Montfort au mois de juillet 1209, elle vit sa population tout

  1. Un vol. in-8o, Paris, 1843, chez Maillet, rue Tronchet,