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REVUE SCIENTIFIQUE.


Les accidens qui, dans ces derniers mois, se sont si fréquemment répétés, et d’ordinaire avec de si tristes conséquences, sur les chemins de fer, ont ému vivement l’Académie des Sciences et le public, et de tous côtés il a surgi des projets destinés, disait-on, à rendre désormais impossible le retour de ces funestes événemens. Il va sans dire que la plupart de ces projets, formés par des hommes qui manquent des connaissances nécessaires, ne méritent guère d’attention. Comment prendre au sérieux, par exemple, cette idée si souvent émise, et que nous avons entendu prôner même dans de doctes assemblées, d’arrêter subitement un convoi marchant à toute vitesse, et de prévenir par là les rencontres, les chocs, les déraillemens, tous les accidens en un mot, qui sont à craindre sur les chemins de fer ? Sans nous arrêter à la possibilité d’exécuter ce projet, qui suppose tout simplement qu’on pourrait, par quelque mécanisme ingénieux, arrêter brusquement cent boulets de vingt-quatre à l’instant où ils sortent de la bouche du canon (car, en ayant égard à la masse et à la vitesse, un gros convoi, dans des circonstances ordinaires, ne produirait pas sur un obstacle qu’on opposerait subitement à sa marche un effet moindre que celui qui serait produit par cent boulets de vingt-quatre qui viendraient le frapper à la fois), il est à remarquer que si la chose était faisable, le remède, dans le plus grand nombre des cas, serait pire que le mal. En effet, si l’on réussissait, par impossible, à arrêter tout à coup un convoi marchant, par exemple, avec une vitesse de dix lieues à l’heure, tous les voyageurs sans exception, seraient lancés avec une vitesse égale à celle qui animait le convoi entier avant cet arrêt brusque, et iraient frapper la terre ou les diverses parties des voitures avec la même vitesse qu’ils acquerraient s’ils tombaient tous d’un premier étage assez élevé. Or, quel ne soit le danger auquel on est exposé sur un chemin de fer lorsqu’un accident est imminent, ce danger, pour la totalité des voyageurs, est bien moindre que celui qu’ils éprouveraient s’ils tombaient tous à la fois d’un premier étage. Le remède, comme on le sent, serait fort dangereux : heureusement ce remède, tel que l’imaginent la plupart des utopistes, est inapplicable.

Pour prévenir le retour de ces accidens si funestes comme pour en diminuer la gravité, la première chose à faire, tous les hommes compétens sont d’accord sur ce point, c’est de diminuer le poids de chaque convoi, et de répartir ce poids entre un certain nombre de convois successifs. Alors les ressources de la mécanique pourront être app1iqiées avec succès à des masses moins grandes ; mais, dans les circonstances actuelles, tous les soins imaginables ne sauraient prévenir le retour d’accidens dont les suites, une fois que ces énormes masses ont cessé d’obéir à une impulsion intelligente, deviennent incalculables. Au reste, cette question n’est pas seulement une affaire de mécanique. La politique joue un grand rôle dans tout ce qui touche aux chemins de fer, et le gouvernement, qui a devant lui des sociétés riches et puissantes, et qui se voit forcer la main par le vœu énergique de tout le pays, demandant l’établissement complet de ce nouveau mode de communication, ne peut pas agir