« La jalouse tyrannie de l’Anglais a maintenant banni le vert de l’Irlande, mais, par le ciel ! les victimes de l’Anglais sortiront de terre avant qu’on ait forcé nos cœurs à délaisser l’étendard vert pour l’étendard rouge !
« Nous nous fions en nous-mêmes, car Dieu est bon et bénit ceux qui se fient à leurs braves cœurs et non point dans les princes ou les reines de la terre, et nous jurons de verser notre sang pour replacer encore une fois le vert au-dessus du rouge. »
Voilà toute la politique de la jeune Irlande. Si quelque chose en démontre l’impuissance, c’est la tranquillité pacifique de ces immenses meetings assemblés par O’Connell ; il n’y a pas de parole humaine qui eût pu comprimer des cœurs assez ardens pour répondre à cet appel guerrier. La jeune Irlande doit aujourd’hui être convaincue de sa faiblesse. A la première démonstration ouverte qu’elle a tentée contre les temporisations suspectes d’O’Connell, elle a été obligée d’abandonner Conciliation-Hall, emmenant avec elle, pour tout renfort, M. Smith O’Brien, comme si O’Connell n’avait pas déjà exploité tout ce qu’on pouvait tirer du nom populaire et de la personne insignifiante de ce dernier descendant des vieux rois. Le Freeman reste le seul moniteur de l’agitation officielle, et la Nation, vigoureux appui d’un camp décidément hostile, reprend l’œuvre de libération ; elle commence la guerre par une épigramme, en choisissant pour devise le rappel sans la rente ! épigramme injurieuse à l’adresse d’O’Connell, qui n’a jamais rendu compte au public de l’emploi du budget national versé dans ses mains. O’Connell a tout aussitôt rencontré dans le clergé d’irrésistibles défenseurs ; les évêques les plus compromis par leur patriotisme exalté se sont déclarés les partisans du système de persuasion morale, jetant l’anathème sur les prôneurs de révolutions violentes, et mettant à l’index ces impies de la jeune Irlande, lecteurs assidus de Voltaire et de Rousseau, complices de Roberpierre et de Mazzini. Toute la situation intellectuelle de l’églir irlandaise est naïvement exprimée par cet assemblage de noms propres. N’oublions pas cependant un trait plus touchant et plus sérieux : l’archevêque de Tuam, John M’Hale, écrivant à lord Russell pour désavouer publiquement les doctrines brutales de la Nation, lui peint en même temps la détresse de ses pauvres diocésains du Connaught ; il le supplie de leur continuer les travaux publics qui les nourrissent à moitié ; il s’associe du fond de l’ame à cette incroyable misère, et, à la façon dont il la ressent et l’exprime, on ne saurait se refuser à dire qu’il est bien digne de la protéger.