désormais qu’une vaine formule. Pour qui connaissait un peu l’intérieur de l’association irlandaise, ce résultat semblait depuis long-temps inévitable. Il y avait deux partis dans un seul, et l’unité ne pouvait plus subsister du moment où la tactique anglaise leur fournirait une raison de se distinguer, en signalant chacun sa tendance.
Avocat consommé, O’Connell a pris, pour défendre son pays, non pas l’argument qu’il croyait le plus sérieux, mais l’argument qu’il jugeait le plus efficace ; il a poursuivi des réformes possibles en menaçant d’une révolution impossible ; il a savamment évoqué la fantasmagorie du rappel comme le seul thème qui lui permît de réclamer et d’obtenir toujours en ne se disant jamais satisfait. Qu’il ait fini par croire à sa fiction et s’habiller tout de bon de son personnage, il n’y a point à s’en étonner ; mais du moins a-t-il su garder toujours par devers lui ce grand fonds de bon sens qui fait sa force, et au besoin il l’a retrouvé tout entier. Chose plus notable encore, il est resté complètement de son âge et de son pays, il n’y a pas une idée moderne qu’il ait prise à son service ; il est loyal sujet comme un cavalier des Stuarts, dévot comme un fidèle papiste, propriétaire quasi féodal comme tout bon gentilhomme de campagne. S’il a jamais trouvé quelque chose d’inintelligible, c’est assurément l’éloquence de ceux qui vinrent lui offrir l’obole de la démocratie française. Tel qu’il est, cependant, O’Connell représente à coup sûr la vraie situation de l’Irlande, et l’on n’y pourrait rien faire en grand avec d’autres principes. D’autres principes ont pourtant essayé d’y prendre pied et d’y agir. Des hommes plus jeunes, plus éclairés, moins intelligens, à peine entrés à Conciliation-Hall, ont élevé un drapeau neuf à côté du vieux drapeau ; ils ont arboré les couleurs radicales, et demandé le rappel en haine des institutions aristocratiques ; ils ont rêvé plus sérieusement peut-être que le libérateur une séparation de l’Angleterre et de l’Irlande, ils se sont moqués secrètement de son royalisme chevaleresque, ils ont parlé assez haut de république indépendante. C’était la montagne aux prises avec les girondins. Protestans ou libres penseurs, infidèles même, comme on dit en Angleterre, ils se voyaient avec déplaisir obligés de s’appuyer sur l’intervention cléricale, et ils craignaient toujours de trop bien servir la domination de l’église catholique, en l’appelant ainsi au secours de leur patriotisme. La Nation, leur principal organe, s’est donne pour tâche de discerner la religion de la politique ; elle soutient que la religion doit rester entre Dieu et l’homme, et prêche, suivant son expression, une nationalité qui n’ait rien à faire du credo de l’individu. Rédigée avec une habileté véritable, la Nation publie souvent des chansons patriotiques qu’elle a raison de regarder comme un sûr moyen de propagande chez ce peuple enfant, conteur et routinier. C’est par ces chansons qu’elle a traduit sa plus intime pensée ; c’est par cette lente et populaire initiation quelle espérait insinuer son esprit dans les rangs les plus épais de la multitude. Cet esprit se reconnaîtra tout de suite à quelques strophes citées au hasard.
Quand nos pères voyaient l’étendard rouge flotter au-dessus du vert, ils se levaient en masse, soldats inexpérimentés, mais courageux, avec des piques et des sabres, et dans plus d’une noble ville, dans plus d’un champ de mort, ils replaçaient fièrement les vertes couleurs de l’Irlande au-dessus du rouge de l’Angleterre.