lumineuse, incline à penser que l’écrit de Leibnitz est postérieur à la mort de Bossuet, et qu’on doit le considérer comme le terme où, après les agitations de la polémique, Leibnitz, mûri par l’expérience et par l’âge, vint enfin trouver le repos. Nous n’avons aucune raison de repousser cette conjecture. Quoi qu’en dise le proverbe allemand : Leibnitz glaubt nicht, Leibnitz ne croit rien, nous sommes convaincu que l’auteur de la Théodicée était sincèrement attaché au christianisme. L’idée de faire de lui un hypocrite ou un pyrrhonien ne pourrait venir qu’à des esprits parfaitement étrangers à la connaissance de son caractère, de ses écrits et de tout l’ensemble de ses doctrines. Seulement il faut ajouter qu’il portait dans sa foi religieuse les lumières d’une haute philosophie. Dans le libre mouvement d’un génie éminemment critique, dont la hardiesse et la curiosité étaient infinies, il était impossible qu’il n’effarouchât pas souvent l’ombrageuse orthodoxie du clergé protestant, aussi peu tolérant d’ordinaire que le clergé catholique. C’est ce qui explique ces mots de Fontenelle, parfaitement renseigné sur le fond des sentimens religieux de Leibnitz par son secrétaire M. Eckart : « On accuse M. Leibnitz de n’avoir été qu’un grand et rigide observateur du droit naturel. Ses pasteurs lui en ont fait des réprimandes publiques et inutiles. »
Cette philosophie élevée, qui dominait toutes les croyances de Leibnitz, nous explique l’attitude, qu’il a prise dans les grandes controverses religieuses de son temps. On sait qu’il ne professait pas pour ce genre de discussion le dédain que le XVIIIe siècle a mis à la mode. Sous la bizarrerie du langage et la barbarie des expressions scholastiques, il voyait s’agiter les problèmes éternels de l’esprit humain, et, faisant volontiers abstraction de toute communion religieuse, il demandait à l’expérience, à la logique, à la raison, le moyen de dénouer les difficultés. Or, le système de l’église catholique étant certainement, de tous les systèmes, le plus vaste, le mieux lié, le plus raisonnable, il ne faut pas s’étonner de voir Leibnitz, né luthérien, mais avant tout philosophe, se rencontrer presque toujours sur les points essentiels avec le catholique Bossuet.
Nous avons un mémorable exemple de ce curieux accord dans la querelle du quiétisme. Leibnitz, considérant avec sa haute et sereine impartialité le débat passionné des deux éloquens adversaires, prononce un jugement que la postérité a ratifié. Il maintient à la fois, suivant ses propres expressions, l’innocence de M. de Cambray et l’exactitude de M. de Meaux. C’est en termes modérés donner pleinement raison à Bossuet sur le fond.
De nos jours, quelques voix s’élèvent pour protester en faveur de Fénelon On accuse Bossuet d’injustice, de dureté. On prétend qu’il a voulu humilier un confrère, dont apparemment l’esprit, la renommée, le crédit, lui portaient ombrage. On dit que la doctrine de l’amour divin était en dehors du dogme, et qu’elle a servi de prétexte à une intrigue politique Nous regrettons de trouver une appréciation aussi peu exacte dans un livre excellent et chez un écrivain accoutumé à unir la justesse à la finesse dans ses appréciations.
L’ingénieux auteur des Essais d’histoire littéraire ressent pour Fénelon une sympathie que nous éprouvons comme lui ; mais elle ne doit pas nous fermer les yeux sur ce qu’il y avait de chimérique et de dangereux dans la doctrine du pur amour, ni sur l’entêtement que Fénelon mit à la défendre et à la propager.