On se demande naturellement si Leibnitz exprime ici des croyances tout intimes et personnelles, ou si cette pièce, destinée à la publicité, avait pour but, comme l’Exposition de la foi catholique de Bossuet, de réduire au plus petit nombre possible les points de dissidence des deux communions.
M. l’abbé Lacroix pense que le Systema theologicum a été écrit par Leibnitz vers 1690, avant la mort de Bossuet, et qu’il se rattache à la correspondance de ces deux personnages. On sait comment elle s’engagea. n 1691, l’empereur Léopold crut le moment favorable pour accomplir un dessein que la politique avait depuis long-temps formé, celui d’opérer la réconciliation des catholiques et des protestans. Il chargea l’évêque de Neustadt, par un rescrit impérial, de traiter les affaires de la religion avec tous les états, communautés et particuliers de son empire. L’évêque de Neustadt trouva un accueil favorable dans les états de Hanovre où résidait Leibnitz. Une partie de la famille de Brunswick, qui y régnait, s’était déjà faite catholique, et le nouvel électeur, le prince Ernest-Auguste, se montrait disposé à suivre leur exemple. M. Molanus, abbé de Lokkum, le plus célèbre des professeurs de théologie protestante de Hanovre, fut chargé d’entrer en conférence avec l’évêque de Neustadt. Le résultat fut la rédaction d’un premier plan de réunion dressé par les théologiens protestans, et sur lequel l’évêque de Neustadt ne voulut donner son avis qu’après avoir pris celui de Bossuet. À ce même moment, Leibnitz se mettait en relation avec l’évêque de Meaux par l’intermédiaire de Mme de Brinon, soit qu’il eût spontanément exprimé le désir de connaître l’illustre prélat, soit qu’il en eût reçu commission de l’électeur de Hanovre ou de l’abbé de Lokkum ; mais, quoi qu’il en puisse être, le seul ascendant de deux esprits supérieurs amena bientôt Bossuet et Leibnitz à prendre les premiers rôles dans cette grande affaire.
Je n’hésite pas à affirmer que, si Bossuet et Leibnitz n’avaient eu qu’à se mettre d’accord l’un avec l’autre, le débat n’eût pas été long. Le Systema theologicum en est une preuve péremptoire. Lisez ce morceau, comparez-le avec l’Exposition de la foi catholique de Bossuet, et dites-moi si les différences valent la peine qu’on se sépare en deux communions. Mais, si c’est chose aisée à un théologien comme Bossuet de s’entendre avec un philosophe comme Leibnitz, il n’en va pas de même quand des préjugés, des passions, des intérêts de parti sont engagés dans le débat. Au lieu de commencer par discuter le fond des choses, ainsi que le demandait si raisonnablement Bossuet, on entama l’insoluble difficulté du concile de Trente, les réformés refusant absolument de le reconnaître pour un concile œcuménique, et Bossuet tout aussi fermement décidé à ne pas mollir sur ce point et demandant toujours qu’on discutât non la forme du concile, mais sa doctrine.
La controverse, en se prolongeant, se fourvoya de plus en plus. De la question particulière du concile de Trente, on en vint à la question générale des caractères constitutifs d’un concile oecuménique, puis à des digressions infinies sur le canon des Écritures, et sur l’authenticité de certains livres, admise par l’église catholique et niée par les réformés. En 1700, la correspondance se termina ou plutôt s’éteignit, non-seulement par l’impossibilité de s’entendre, mais à cause des complications politiques qui vinrent réunir contre Louis XIV toutes les puissances protestantes.
M. Albert de Broglie, qui expose les différentes phases de ce débat d’une manière