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à l’occasion de sa dépêche circulaire du 7 mars 1846. Publiée dernièrement à Paris, cette lettre a eu plus d’effet sur la diplomatie que de retentissement au dehors. Elle fut envoyée tout aussitôt comme document essentiel à Vienne et à Berlin, et M. de Bunsen, l’intelligent ministre de Prusse à Londres, le confident de son roi, en a été particulièrement frappé. Ce curieux écrit, qui respire à chaque page l’originalité des mœurs et du caractère, n’est rien d’autre qu’une adhésion manifeste au pacte moscovite, un acte de foi et hommage déposé solennellement aux pieds du tzar. On n’aurait nulle part une aussi juste idée de la situation du pays et des hommes. Le plus grand espoir que l’auteur anonyme mette dans la Russie, c’est la restauration d’une commune société slave d’où l’on repoussera toutes les choses d’Occident. Le plus amer reproche dont il flétrisse M. de Metternich, c’est d’avoir rompu, par ses institutions bureaucratiques, le lien sacré qui, dans cette société semblable à une famille, unissait le paysan au seigneur ; c’est d’avoir détruit à jamais le seul refuge où la nationalité slave eût encore trouvé grace, « la seule vie publique, l’unique patrie qui lui restât, la vie de campagne. » - « On dit en Gallicie que vous aimez à nous voir mourir, tuez-nous ; mais de grâce, avant de faire tomber nos têtes, rendez-nous l’affection de nos paysans, et, quand on nous tuera, ne faites plus que ce soit par leurs mains. Nous ne vous parlerons pas des traités, mais de grace souffrez que nous vous parlions de ce que vous pourrez nommer comme il vous plaira, de ce quelque chose, de cette existence que vous pourriez nous laisser mener sans qu’on s’en occupât : il n’en aurait été question dans aucun débat parlementaire, l’Europe l’aurait ignorée ou ne l’aurait pas comprise, et personne à ce sujet ne vous aurait molesté. C’était un rien, que cette existence ; cela ne valait pas la peine d’être remarqué, et cependant ce rien, c’était tout pour nous, tout ce qui nous restait de nos anciennes richesses et de l’héritage de nos pères. C’était la vie avec ce peuple et au milieu de ce peuple rustique, pour lui et par lui ; vous nous l’avez enlevée. Rendez-nous les cœurs de nos paysans ! Hélas ! nous ne les aurons plus ! »

Puis vient la conséquence et comme la conclusion de cette gémissante invective. Les nouveaux ressentimens provoqués par les massacres que l’Autriche a payés vont « réveiller sous la cendre les haines immortelles de la race slave contre les Allemands ; » les Russes du moins laissent l’ordre social intact, et conservent avec amour « les reliques de la nationalité slave ; » un nouvel avenir se prépare. « Au lieu de nous consumer à mendier une position vers l’Occident, nous pouvons nous frayer une route dans les entrailles mêmes d’un immense empire. Impuissans à nous rendre maîtres de notre destinée comme corps politique, nous pouvons en trouver une nouvelle comme individus de la même race. Les atrocités de l’étranger auront du moins fait