de ces croyans superbes qui ont plié si savamment leur intelligence à l’humilité ; il n’y a chez moi que du respect pour ce logicien populaire arrêté par son cœur au milieu de sa logique et cherchant aux dépens de sa méthode, au rebours de ses conclusions, une satisfaction quelconque pour son invincible besoin d’admirer et d’aimer un maître. L’étrangeté même de l’expédient ne l’empêche pas d’être naturel, et montre plus à nu le mouvement général dont le pasteur Uhlich était, bien réellement, le représentant très direct. Plus la raison a retranché, plus elle s’éprend de ce qu’elle garde, s’enthousiasmant par réflexion, comme avant par imagination. Du reste, il était évident qu’avec cette notion sur la personne de Jésus, le dogme de la trinité tombait, et après celui-là le dogme de l’expiation sanglante, et avec celui-ci tout le fond même de l’ancien protestantisme, qui reposait sur l’exaltation des mérites infinis d’un sacrifice divin. Luther avait dit qu’il n’y a de justification que par la foi, la foi étant pour lui le seul moyen d’appeler cette grace du Rédempteur qui s’applique où bon lui semble. Calvin avait été jusqu’à proclamer qu’elle s’appliquait avant la naissance, tant il méprisait l’efficacité des œuvres. Uhlich, au contraire, sans jamais cesser de compter sur le secours universel d’un esprit saint, admet que ce sont les œuvres qui sanctifient ; en face du principe exclusif de la grace luthérienne, qui déclare tout perdu si la croix du Christ n’avait tout racheté, le ministre évangélique, voyant combien le temps modifiait et atténuait la doctrine jusque dans l’église qu’elle avait bâtie, est venu hautement professer qu’il ne fallait pas déguiser, comme les jésuites, cette doctrine rigoureuse, mais la rejeter ouvertement par cela seul qu’elle faussait l’homme. « Vous voulez, dit-il aux orthodoxes, vous voulez éveiller chez tous le profond sentiment de leur condamnation et de leur ruine ; mais ce sentiment ne peut exister avec tant de force que chez les méchans qui ont foulé sous leurs pieds toutes les lois divines et humaines. Vous voulez provoquer un tel désir de réconciliation, une telle joie, une telle gratitude, que le cœur soit tout entier dominé, possédé, renversé par des impressions si violentes, et cependant la plupart des hommes sont faits de cette manière qu’ils restent à jamais étrangers aux sensations fortes. Le Christ n’a-t-il donc pas prêché l’évangile pour qu’il fût tout à tous ? » Qui combattait ainsi le dogme de l’expiation supprimait nécessairement le péché originel ; si l’on ne croit point à la rémission douloureusement achetée par l’immolation d’un Dieu, c’est qu’on ne croit plus à l’irrémissible transmission de la faute d’Adam, à la corruption héréditaire de la race humaine. « Je cherche en moi, je regarde dans mes enfans, j’y vois le mal et le bien mêlés ; je m’afflige en découvrant quelquefois des inclinations mauvaises à l’âge le plus tendre, mais j’ai la joie d’en voir souvent de
Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/69
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.