ténèbres de la vallée. Pendant long-temps encore, l’arbre embrasé répandit une lumière éclatante, jusqu’au moment où les flammes cessèrent de tourbillonner. Le cercle éclairé par l’incendie se rétrécit alors peu à peu ; le tison colossal s’affaissa bientôt sur lui-même, s’éteignit dans le torrent avec un sifflement lugubre, et tout rentra dans l’obscurité. Seulement, à de longs intervalles, les flammes, soudain ranimées, lançaient encore un éclair jusqu’à moi. Je persistais à croire que c’étaient les laveurs de Nacome qui venaient surprendre ceux de Bacuache, mais rien, dans le silence de la nuit, ne justifiait cette appréhension. Je faisais donc d’inutiles efforts pour deviner la cause de cette bizarre alerte, quand, à la lueur d’un de ces jets de flamme dont j’ai parlé, je vis un homme s’avancer presque en rampant de mon côté.
— Qui va là ? criai-je à l’inconnu, que je ne distinguai qu’un instant.
— Chut ! c’est moi, moi, Rivas, dit l’homme à voix basse, et en effet je reconnus la voix du mutilé. Je lui adressai précipitamment quelques questions sur la cause de cette alarme imprévue. Il y répondit par un éclat de rire si singulier, qu’un fou seul pouvait rire ainsi, car je n’avais pas oublié ce que m’avait dit Anastasio. Rivas s’accroupit près de moi, et me dit de manière à ce que je pusse seul l’entendre :
— Votre domestique avait raison, je m’étais trompé ! Ce n’étaient pas eux, vous savez, ceux que j’ai fait sauter ! mais cette fois-ci, j’en suis sûr, j’ai reconnu leurs voix ; malheureusement ils n’étaient que deux !.. il m’en manque encore un !... je le trouverai plus tard... C’est pour cela que j’ai allumé ce grand feu, et puis je voyais ainsi ceux que j’ai poussés au fond du précipice agiter leurs membres brisés, et j’étais content ! Ceux de Subiate sont morts trop vite.... N’est-ce pas encore là le jugement de Dieu ? Au revoir, seigneur cavalier, je vais chercher le troisième.
À ces mots, le fou s’éloigna précipitamment, avant que j’eusse pu l’arrêter. J’étais encore tout étourdi de cette révélation, quand j’entendis la voix des deux frères, qui regagnaient leur cabane.
— Eh bien ! leur criai-je, qu’avez-vous découvert ?
— Rien, répondit Anastasio, si ce n’est deux cadavres que nous avons trouvés au bas du ravin ; mais, si c’est le diable qui les y a précipités, il a du moins fait justice des deux plus mauvais drôles de ce pays, où certes ils ne manquent pas ! J’avoue que j’ai un poids énorme de moins sur la poitrine : pourtant je me demande encore qui a pu mettre le feu à cet arbre ?
Je lui racontai ce que m’avait dit Rivas.
— Il pourrait bien n’avoir pas tort aujourd’hui, dit Anastasio ; mais néanmoins je me mettrai demain en quête de lui : c’est un fou d’une trop dangereuse espèce.
Pendant six jours que je passai à Bacuache, toutes les recherches