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de tant de luttes sanglantes. Le sommet de la sierra, qui donnait naissance au ruisseau dont j’entendais le murmure, était couvert d’un dais de vapeur que la lune irisait çà et là. Au milieu de cette nature silencieuse, ce brouillard lumineux paraissait un voile mystérieux jeté par Dieu sur la source de ces trésors, dont sa volonté confie la distribution au caprice des eaux. Un pin se profilait en noir sur le ciel transparent, et s’élevait comme le sombre protecteur de ces hauts lieux. Au-dessous de lui, la cascade formée par le torrent semblait une cataracte d’argent tombant sur cette terre d’or. Peu à peu les objets devinrent moins distincts à mes yeux, que la fatigue appesantissait, et déjà mon esprit flottait entre l’assoupissement et la veille, quand je crus entendre au loin des cris étouffés et voir des lueurs indécises scintiller comme des feux follets sur la hauteur. Le sommeil finit cependant par prendre le dessus, et je ne sais combien de temps je dormis jusqu’au moment où une clarté subtile me fit ouvrir de nouveau les yeux. Un spectacle étrange me frappa : la vallée tout entière était vivement illuminée, des flammes ondoyantes s’élançaient depuis l’extrémité inférieure du tronc jusqu’aux plus hautes branches du pin qui dominait le ruisseau. Des nuages de fumée montaient en tourbillonnant jusqu’au ciel, qui en était obscurci. Les cimes des arbres voisins étaient colorées de reflets incandescens. Des branches détachées du tronc enflammé tombaient en traçant des raies de feu. A la lueur de ce brasier gigantesque, des hommes allaient et venaient ; des clameurs confuses éclataient de tous côtés. Des épées nues, des piques, des couteaux, brillaient au milieu de ces groupes divers.

— Nacome ! Nacome ! criait-on de toutes parts. Je me retournai pour avertir Anastasio et son frère ; je les distinguai à la lueur qui pénétrait jusqu’au fond de notre cabane, levés tous deux et paraissant tenir conseil. Le blessé s’agitait convulsivement sur son lit de douleur.

— Eh bien ! dis-je au gambusino, ceux de Nacome veulent-ils décidément venir nous attaquer ?

Le gambusino secoua la tête. Son visage était soucieux et pâle ; une terreur dont il ne se rendait pas compte semblait le dominer malgré lui.

— Non, non, me répondit-il ; les laveurs de Nacome n’auraient pas allumé ce flambeau infernal pour nous attaquer. Un voyageur ne peut non plus avoir mis le feu à cet arbre, car, si des raisons inconnues l’eussent forcé à bivouaquer là-haut, la prudence lui eût également commandé de ne pas se trahir. Pourvu que ce ne soit point...

il n’acheva pas, mais le signe de croix qu’il fit dévotement compléta sa pensée. Puis il reprit :

— Ne croyez-vous pas, seigneur étranger, que, si Satan règne par la puissance de l’or, une terre qui en produit tant doit être plus qu’une autre soumise au prince des ténèbres ?