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Anastasio lui tendit le précieux caillou.

— C’est dans le ruisseau que tu as trouvé ce filon, n’est-ce pas ? continua-t-il.

— Oui, dit Pedro, réjouis-toi d’avoir versé ton sang pour le défendre !

Le blessé ne répondit rien, mais un sentiment de joie vint éclairer un moment sa figure pâle, puis il ferma les yeux comme s’il n’eût pas voulu distraire sa pensée de ce spectacle fascinateur. Pedro s’approcha de lui.

— Nous exploiterons cette mine ensemble quand tu seras guéri, lui dit-il ; je n’attends que toi pour cela ; aussi ai-je eu la force de ne rien laisser lire sur ma figure de la joie que je ressentais. Sois tranquille, l’eau recouvre entièrement le filon, et personne ne se doute de ma découverte.

La respiration haletante du blessé se fit entendre plus distinctement dans la cabane ; il essaya de parler encore, mais il ne put prononcer que ces mots : — Jésus ! que j’ai soif ! — si bas, que nous les entendîmes à peine. On s’empressa de satisfaire son désir, après quoi les deux frères, obéissant à un préjugé généralement répandu en Sonora qui fait considérer tout étranger comme médecin ou horloger, me prièrent d’examiner la blessure que le gambusino avait pansée selon la mode du pays. J’avais déjà été trop souvent consulté en pareille matière pour perdre mon temps à protester de mon ignorance, et je consentis à faire ce qu’ils me demandaient. Le mineur leva donc l’appareil et m’expliqua le mode de pansement, que je dus naturellement trouver parfait[1]. J’ordonnai même, pour l’acquit de ma conscience, de le renouveler souvent. Les deux frères furent complètement de mon avis, et s’applaudirent naïvement de m’avoir consulté.

Cette journée laborieuse était enfin achevée, la nuit était venue, et les laveurs avaient suspendu leurs occupations. Tout était silencieux dans la cabane comme au dehors ; mais, ainsi que l’avait prévu Salazar, les gémissemens du blessé m’empêchèrent de dormir. Couché en travers de la porte, restée ouverte, je prêtais l’oreille au bruit des pins agités, harmonie funèbre qui se mariait bien à la plainte du blessé, et je contemplais l’horizon noir et borné de cette vallée si fertile en or, théâtre

  1. Ce mode de pansement, emprunté aux Indiens, est des plus étranges et mérite d’être décrit. Le pays abonde en fourmis d’une grosseur peu commune, mais dont la piqûre n’a rien de venimeux. On en recueille une certaine quantité dans un verre profond, puis, quand on a étanché le sang qui coule de la blessure, on en rapproche soigneusement les deux lèvres, qu’on expose à la morsure de ces insectes. Quand les deux antennes, ou tenailles, dont leur tête est garnie se sont enfoncées de côté et d’autre, on sépare avec les deux ongles le corselet à l’endroit où il se joint à la partie postérieure du corps ; la fourmi, en expirant, enfonce plus profondément ses tenailles, qui restent ainsi fixées sur l’une et l’autre lèvre de la plaie. Des herbes aromatiques écrasées, entre autres l’oregano, servent à diminuer l’inflammation.