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Je donnai un regret au pauvre mutilé ; mais bientôt les objets nouveaux qu’on rencontre à chaque pas en voyage chassèrent de mon esprit le souvenir du gambusino. Enfin, après huit heures de cette marche pénible, nous arrivâmes à un endroit où quelques groupes disséminés de laveurs d’or en guenilles, qui nous lancèrent un regard oblique, exerçaient déjà leur industrie. Quelques pas plus loin, à un détour où la route se démasque derrière un épais rideau d’arbres, j’aperçus dans une gorge aussi longue qu’étroite des cabanes de ramée ou de bambous verts, qui de loin semblaient se confondre avec les sapins groupés sur les pentes des montagnes : c’était Bacuache. Avant de traverser pour la dernière fois le lit de la rivière d’où j’étais sorti quelques minutes auparavant, je m’arrêtai sur l’esplanade que forme la berge occidentale pour embrasser d’un coup d’œil l’ensemble du placer. Devant moi s’ouvrait l’étroite vallée bornée de trois côtés par des hauteurs à pentes rapides couvertes de sapins épais. Des rochers gris pointaient dans les déchirures du terrain et tranchaient sur la verdure sombre des bois environnans. Du haut de la montagne qui formait le fond de la vallée, un ruisseau se perdait parmi les arbres et jaillissait çà et là en cascades bruyantes. Une des dentelures de la chaîne qui sépare Nacome de Bacuache donne naissance à ce torrent. Les sommités de ce peñon étaient couvertes d’une brume épaisse. Ce ruisseau serpentait au fond du ravin, ainsi que quelques autres qui descendaient des deux versans de droite et de gauche, sur lesquels des pins morts, couchés en travers de sapins encore verts, témoignaient de l’impétuosité des eaux dans la saison des pluies. Enfin, sur les bords de ces cours d’eau, au milieu même de leur lit, dans les sables du vallon, des hommes, courbés comme le laboureur sur la moisson, fouillaient la terre à coups de barretas ou draguaient le fond des torrens. De temps à autre, une explosion qui faisait voler des éclats de roc retentissait en échos sourds ou vibrans qui allaient mourir au loin. Puis des voix confuses, des jurons, des cris de joie, se mêlaient à ces bruits entrecoupés de courts silences pendant lesquels on n’entendait plus que le murmure des cascades.

Si l’on songe que nulle autorité ne règle les droits d’exploitation de chaque pertenencia, et que la terre appartient là non au premier occupant, mais au plus fort, on conçoit que tout nouvel arrivant doit exciter les soupçons des explorateurs primitifs de ces placeres. Aussi, ce fut avec un certain battement de cœur qu’après avoir jeté un coup d’œil sur ces lieux sauvages je poussai mon cheval pour descendre la berge et traverser la rivière. Anastasio me suivait de près ; nous nous approchâmes d’un groupe d’individus qui remplissaient de sable les bateas qu’ils tenaient à la main. Anastasio s’adressa à l’un d’eux pour