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J’avoue que je me mis fort mélancoliquement en route. Le rapide et agréable trajet que j’avais fait d’Hermosillo à Arispe, le train fastueux que j’avais partagé, ne servaient qu’à rendre plus pénible mon isolement. Et pourtant, combien de centaines de lieues n’avais-je pas faites ainsi, seul, ou avec mon guide pour unique compagnon ! mais quelques heures de prospérité m’avaient complètement amolli. Heureusement Je n’avais à lutter que contre une impression passagère, et, au bout d’une heure de route, ce parfum enivrant d’indépendance qu’apporte avec elle la brise du désert m’avait délivré de mes tristes réflexions. En sortant d’Arispe, nous suivîmes encore le lit de l’Uris ; des chutes d’eau se précipitaient de tous côtés avec un pétillement pareil au bruit des feuilles, tandis que les grands arbres penchés sur l’eau, les lianes fleuries qui se balançaient au vent, secouaient leurs branches avec une harmonie semblable au murmure des cascades ; les berges sonores de la rivière se renvoyaient en échos cadencés l’interminable enchaînement d’estribillos que mon guide chantait depuis notre départ. Il marchait en avant avec cette insouciance de l’homme pour qui les déserts n’ont plus rien de mystérieux. Je le perdais de vue et le retrouvais alternativement dans les sinuosités du chemin, n’interrompant sa chanson que pour couper d’un coup de cravache, entre deux refrains, la tête pendante de quelque liane. Cependant, une heure avant le coucher du soleil, il se tut au moment où de grands rochers qui s’avançaient sur la route venaient encore une fois de le dérober à ma vue. Bientôt je l’aperçus de nouveau, occupé à attacher son cheval à un arbre voisin ; j’en conclus que nous devions nous arrêter là. Des saules dispersés en bouquets serrés cachaient le bord de l’eau ; le long de ces saules, un tapis de gazon s’étendait, jonché de flocons blancs que le vent arrachait aux gousses épanouies des cotonniers qui croissaient derrière les saules, et des arbres de haute futaie abritaient cette verte pelouse du côté opposé à la rivière.

— Que peut-on désirer de mieux ? me dit mon guide en prenant la bride de mon cheval. De l’eau peur nous, du gazon pour nos bêtes, du bois en abondance, et par-dessus tout, ajouta-t-il en me montrant des touffes de grosses lianes à fleurs bleues qui envahissaient les troncs des arbres, ce huaco, remède souverain contre la morsure des serpens ? N’admirez-vous pas, continua-t-il en dessellant nos chevaux, comment Dieu a toujours mis le remède à côté du mal ? Partout où ces lianes se rencontrent, c’est un signe que les serpens à sonnettes se trouvent en abondance. Voyez-vous là-haut cet oiseau[1] qui ressemble à

  1. Le choyero. On appelle choyo une espèce de nopal-raquette dont les graines forment une boule ronde hérissée de piquans d’une force à percer le cuir le plus épais. Ces graines se détachent en grande quantité et jonchent le sol ; elles servent d’armes à l’oiseau appelé choyero, du nom de cette plante. Quand cet oiseau aperçoit un serpent endormi et couché en rond, il l’entoure d’une double ou triple ceinture de ces piquans formidables, puis le frappe d’un coup d’aile. Le serpent, qui se déroule précipitamment, s’enfonce ces pointes dans le ventre, et dans cet état le choyero en vient facilement à bout.