lutte du génie des eaux contre le génie des montagnes. Avec le retour des premières chaleurs, les eaux limoneuses s’épurent de nouveau en diminuant, les pics de la sierra dégagent leur azur du sein des vapeurs ; les cimes des arbres secouent les souillures argileuses de leurs feuillages et les détritus végétaux suspendus en flocons à leurs branches ; les paysages de l’Uris ont repris leur charme idyllique, mais les sables cachent une nouvelle récolte d’or que les eaux ont fait descendre de hauteurs inaccessibles, et la nature a jeté dans ses convulsions une nouvelle pâture à la cupidité de l’homme.
Les domestiques du sénateur avaient profité de nos deux heures de sieste pour préparer notre campement. Le choix de l’emplacement faisait honneur à leur goût. Les premières croupes des montagnes s’élevaient, à cet endroit, couvertes d’arbres penchés qui formaient une arche de verdure au-dessus de la rivière. Sur la berge opposée, une pente douce conduisait à une esplanade de rochers dont une épaisse végétation tapissait les déchirures. C’était au sommet de cet amphithéâtre naturel que tout était disposé pour passer la nuit. Auprès d’un vaste brasier allumé à quelque distance, la moitié d’un mouton rôtissait sur deux fourches de bois de fer. Sur l’herbe étaient disposées les provisions contenues dans les cantines. Dans une source qui sortait du pied des rochers et venait mêler à la rivière ses eaux glacées, sous l’ombre que versait la cime épaisse des arbres inclinés, des outres gonflées rafraîchissaient le vin contenu dans leurs flancs, inappréciable précaution après une course de douze heures dans une atmosphère dont un thermomètre, que j’avais rencontré par hasard au premier relais, portait la chaleur, à l’ombre, à 95 degrés Fahrenheit. Après le repas, la nuit tomba presque glaciale sous l’influence de la rivière. Des matelas furent disposés, pour le sénateur et sa famille, près d’un nouveau foyer allumé au centre de la clairière, après toutefois que les domestiques eurent battu soigneusement les buissons environnans de leurs cravaches plombées, pour en écarter les serpens. Quant à moi, j’étais depuis trop long-temps privé de lit pour ne pas regarder un matelas comme une superfluité puérile, et je m’étendis avec déliées sur le gazon le plus épais que je pus choisir. Puis, au murmure monotone de l’Uris dans son lit de roches et du vent dans le feuillage, aux glapissemens plaintifs des chacals qui hurlaient de près et de loin, au retentissement affaibli de la clochette de la jument capitane, à ces mille bruits mystérieux de la nature sauvage, je ne tardai pas à fermer mes yeux appesantis par le sommeil, qu’on ne sollicite jamais long-temps dans les bois.
Les cabrillas (les pléiades), horloge du voyageur dans le désert, marquaient à peine trois heures quand je fus réveillé par les apprêts du départ. Les taillis craquaient de tous côtés sous les écarts des chevaux arrachés non sans regret à leur pâturage rafraîchi par la rosée de la