Ce serait une grande erreur de croire que c’est au milieu de circonstances pareilles que l’industrie manufacturière anglaise a conquis cette supériorité qu’on lui attribue avec raison. Pour le faire comprendre, il nous suffira de marquer nettement, et en peu de mots, l’extrême différence des deux régimes.
On a souvent invoqué en France, depuis trente ans, l’exemple et l’autorité de l’Angleterre, tantôt pour, tantôt contre le principe du libre échange, et peut-être avec aussi peu de raison des deux côtés. Le fait est que le régime anglais, si nous le considérons tel qu’il était avant les dernières réformes, par exemple en 1840, était, à tout prendre, aussi restrictif que le nôtre, mais il l’était dans de tout autres conditions. Tout système restrictif, et on l’a vu précédemment, apporte au pays qui l’adopte, avec quelques avantages particuliers, une masse plus imposante de charges ; mais ces charges peuvent, selon les objets que la douane atteint de préférence, être distribuées diversement. En France, bien qu’elles se répartissent d’une manière moins inégale qu’en Angleterre, on peut dire qu’elles tombent plus particulièrement sur l’industrie même, sur l’industrie manufacturière surtout, en ce que les objets que la douane grève de préférence sont les matières premières et les agens du travail. En Angleterre, au contraire, le système restrictif respecte les matières premières, il respecte les agens du travail, et cela dans presque toutes les voies de la production. Ce qu’il grève par-dessus tout, ce sont les denrées alimentaires, dont il a fait l’objet d’un monopole au profit de l’aristocratie terrienne. De là des résultats bien différens. Sous l’empire du système anglais (et nous parlons toujours de celui qui existait avant les dernières réformes), l’industrie n’est pas arrêtée dans sa marche ; elle y prend au contraire un magnifique essor. Loin de déprimer l’industrie, ce système y produit plutôt une surexcitation maladive, une sorte de pléthore, en cela qu’il pousse forcément vers les manufactures les capitaux et les hommes auxquels il ravit ailleurs leur emploi. Seulement les fruits que cette industrie procure sont détournés de leur destination naturelle ; la classe des travailleurs qui les produit n’en jouit pas. Plus humain que le système anglais, en ce qu’il ménage davantage les subsistances, le système français pèse, au contraire, sur l’industrie, qu’il a amoindrit et qu’il étouffe en renchérissant tous ses produits. L’industrie manufacturière surtout en est profondément affectée dans toutes ses branches, et nous dirions que c’est elle qui en souffre le plus, s’il ne fallait faire une exception particulière pour la marine marchande, que ce système écrase de tout son poids.
Faut-il des faits et des chiffres à l’appui de ces assertions ? nous sommes en mesure de les produire. Comparons les deux tarifs sur un certain nombre des principaux articles, en prenant toujours pour point