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Certes pour l’homme qui juge sans parti pris, ce que nous venons de dire est décisif. Cette grande invasion des produits étrangers dont on nous menace est une chimère. Quoi qu’on fasse, quelque système que l’on adopte, l’équilibre des importations et des exportations se maintiendra. Que l’importation augmente donc, tant mieux ; nous savons, à n’en pas douter, qu’elle sera suivie d’une exportation équivalente. Cela suffit pour nous faire considérer comme un bonheur sans mélange l’accroissement de nos rapports. A quoi bon, pourrions-nous dire avec la plupart des économistes, nous occuper après cela de savoir quels seront, sous ce régime nouveau, les produits que notre industrie livrera à l’étranger ? Ceux-ci ou ceux-là, peu nous importe, pourvu que nous sachions de science certaine que ces produits se trouveront et que l’exportation prévue s’effectuera. Le reste dépend d’un grand nombre de circonstances particulières, dans l’examen desquelles nous n’avons pas besoin d’entrer.

Il faut pourtant pousser notre examen plus loin, afin de montrer comment ces conclusions générales, invinciblement établies en théorie, se justifient avec non moins d’autorité dans la pratique. Aussi bien, il ne s’agit pas seulement pour nous de défendre le principe du libre échange, mais encore de dévoiler, s’il est permis de le dire, le mécanisme du système protecteur, et d’en éclairer tous les replis.


III.

Nous conviendrons d’abord, avec ceux dont nous combattons les doctrines, qu’il y a fort peu d’industries en France qui, dans la situation présente des choses, et à les considérer isolément, soient en position de résister, sans l’appui des droits protecteurs, à la concurrence étrangère. Il y a fort peu de nos produits qui puissent actuellement soutenir la comparaison pour le bas prix avec les produits similaires qu’on se procurerait au dehors. On s’exagère peut-être cette infériorité relative, et le tableau de notre commerce extérieur fait foi qu’elle n’est pas aussi générale qu’on le prétend. Avouons pourtant qu’elle est réelle, et gardons-nous de vouloir en rien l’atténuer. Voilà donc l’impression que l’on reçoit quand on considère nos industries une à une et qu’on les compare, dans leur état présent, aux industries rivales à l’étranger. En conclurons-nous qu’elles succomberaient toutes sous un régime de liberté ? Loin de là. Comment ne voit-on pas tout ce qu’il y a d’incomplet et de faux dans cette manière d’envisager les choses ? Est-ce donc que nos industries sont actuellement dans leur état normal, et croit-on que, sous l’empire du libre échange, elles resteraient ce qu’elles sont ? Le régime protecteur qui les couvre leur donne-t-il par hasard une assistance gratuite ? Ne lui impose-t-il point des charges sans nombre qui