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Le renchérissement artificiel de la houille, dont la production annuelle en France est de 38 millions de quintaux métriques, ne peut pas être estimé à moins de 30 centimes par quintal, ce qui constitue une taxe réelle de plus de 11 millions. Sur les grains qui servent à l’alimentation de l’homme, l’aggravation de prix est d’au moins 1 franc par hectolitre, soit 100 millions. Sur les laines brutes, nous l’estimons trop bas en ne la portant qu’à 50 centimes par kilogr., ce qui fait, sur une production annuelle de 40 millions de kilogr., 20 millions. Comptons seulement 14 millions sur le lin et le chanvre, à raison de 10 pour 100 sur une production annuelle évaluée à 140 millions de francs. Pour faire une estimation complète, il faudrait nommer toutes les marchandises, car il n’y en a pas une en France dont le prix ne soit artificiellement exhaussé. Contentons-nous de dire, en demeurant au-dessous des estimations de M. Mac-Gregor, que la somme de toutes ces taxes, qui vont on ne sait où, égale pour le moins le montant de l’impôt que l’état prélève à son profit ; C’est en face de cet énorme chiffre, de ce budget effrayant du système restrictif, que la question s’agite.

Dans quel intérêt, au nom de quel principe, nous pourrions dire aussi en vertu de quel droit impose-t-on à la France un tel fardeau ? Il serait peut-être difficile de répondre directement à ces questions, car l’origine du système restrictif se perd dans les profondeurs de notre histoire. Disons seulement que des sentimens d’hostilité ou d’envie contre les autres peuples ont inspiré autrefois les premiers essais de ce système à des hommes qui en ignoraient la portée, qu’ensuite des préjugés funestes l’ont étendu, et qu’aujourd’hui des erreurs déplorables, dont il est d’ailleurs l’unique source, l’entretiennent.

On a cru long-temps qu’un peuple ne pouvait s’enrichir qu’aux dépens d’un autre peuple. Partant, à ce qu’il semble, de cette idée préconçue, que la somme des productions ou des richesses répandues dans le monde est invariable et fixe, on ne voyait dans le commerce de peuple à peuple, ou même dans les relations d’homme à homme, qu’une sorte de pillage, dans lequel nul n’avait chance de se faire une part large et belle qu’en l’arrachant aux autres par la ruse ou par la force. Il ne faudrait pas remonter bien haut pour trouver encore des traces de cette idée. « C’est une chose triste à penser, a dit quelque part Voltaire, qu’une nation ne puisse s’enrichir sans qu’une autre ne perde. » Tel était, du reste, le sentiment à peut près général des hommes de son temps. De là cette lutte sourde, cette inimitié secrète qui subsistaient entre des nations diverses au sein même des travaux de la paix, et ce penchant malheureux à convertir des questions de trafic en querelles sanglantes. La science a fort heureusement dissipé ce préjugé funeste : en montrant que la richesse est le fruit du travail, elle a fait comprendre que toute acquisition de richesse, pourvu qu’elle soit loyale, est avantageuse