la toucher ; le bruit une fois dissipé, la foule s’est retrouvée debout, calme, raisonneuse, et toujours retranchée derrière ce simple bon sens qui la sauve à temps des étreintes du génie. Elle avait même quelque peu profité des agitations d’en haut ; le retentissement qui lui en parvenait lui donnait du goût et de l’estime pour les questions religieuses ; elle saisissait ce qu’il y avait pour elle de saisissable, la tendresse du dieu de Schleiermacher, la majesté du monde hégélien, mais elle ne s’était point enfoncée dans les routes ardues de la métaphysique. Elle lisait encore l’Écriture, ainsi qu’elle l’avait lue depuis trois siècles, et, si elle n’y croyait plus à la façon d’autrefois, elle ne l’interprétait pas non plus comme les doctes du jour, de cette façon subtile dont les alexandrins interprétaient la théologie d’Homère. Elle en recueillait avec gravité les histoires et les préceptes, cherchant l’intérêt moral bien plus que la portée dogmatique, songeant à perfectionner les œuvres et non point à réglementer la foi. On alla donc librement dans ce large sentier, les uns plus vite et plus loin des croyances antiques, les autres plus doucement et plus près du passé, tous unis par un même besoin d’indépendance, toits laissant à la raison de chacun le droit de diriger sa prière.
Cette situation est particulièrement celle de la Saxe, plus particulièrement encore celle de la Saxe prussienne ; les piétistes de Berlin, malgré leurs efforts, n’ont point entamé ces durs esprits, où les convictions sont d’autant plus solides, qu’elles sont étudiées sans être raffinées. La Saxe est toujours le pays de Luther, la foi du charbonnier n’y régnera jamais ; le fidèle veut juger son pasteur. Les théologiens de l’orthodoxie n’attirèrent sous leur joug qu’un petit nombre d’ames. L’humeur sérieuse du peuple se prêtait médiocrement à l’onction larmoyante des convertisseurs. Cependant, avec le nouveau prince, la religion de la cour de Prusse se rapprochait peu à peu du rigorisme ; l’aveugle servilité des pratiques menaçait d’écraser toute pensée vivifiante. En même temps, les jeunes hégéliens, depuis leur établissement à Halle, élevaient aux nues ce rationalisme vulgaire dont ils trouvaient là le siège, et, pour faire pièce à l’idéalisme qu’ils accablaient de leurs cruautés, ils lui opposaient constamment cette doctrine jusqu’alors déclarée si mesquine et si triviale. Les piétistes s’alarmèrent tout de bon ; leur grand moniteur, la Gazette évangélique de Berlin, se remplit de dénonciations et d’injures ; des hommes comme Wegscheider et Gesenius furent désignés à la sévérité du pouvoir ; une vive polémique s’engagea. Enfin un pasteur de Magdebourg ayant accusé publiquement ses adversaires orthodoxes de donner au Christ seul toute la place de Dieu, le consistoire dut lui faire son procès et faillit le destituer ; ou entrait en guerre. La commune et l’église du pasteur condamné prirent son parti, et forcèrent le tribunal à se contenter d’ume simple réprimande ;