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des gens simples et de bonne foi qui ont dit tout haut ce qui se disait tout bas autour d’eux. Il y a, dans la situation qu’ils se sont choisie, trop de courage, trop de loyauté, pour ne pas mériter notre plus sincère estime. Cette situation est tellement logique, tellement nette et déterminée, qu’il est peut-être malaisé de l’apprécier en un pays et dans un temps où des convenances factices atténuent presque forcément les caractères les plus naturels des personnes et des choses ; je veux pourtant l’expliquer ici avec autant de franchise qu’on en a mis à la confesser là-bas.

Le christianisme a introduit sur la terre une morale nouvelle et un dogme nouveau : le Christ a enseigné qu’il fallait aimer son prochain comme soi-même ; l’église a déclaré que le Christ était Dieu fait homme et miraculeusement incarné dans le sein d’une vierge. L’enseignement du Christ a traversé les siècles en les améliorant, toujours plus fécond à mesure qu’il était mieux compris. La tradition de l’église, signe visible de son unité matérielle, a provoqué dans tous les âges les inquiétudes de la libre raison. Or, l’église, dépositaire du dogme, le proclame inséparable de la morale ; il n’en est pas à ses yeux l’enveloppe extérieure et symbolique, il en est le fonds même et la substance ; croire aux merveilles intelligibles de la charité, ce n’est point pour cela être chrétien, si l’on ne croit du même coup aux merveilles surnaturelles de la foi. Ni Luther ni Calvin ne rompirent cet accord en se retirant de la communion catholique, et le protestantisme commença par exalter plutôt que par diminuer la souveraine nécessité des mystères ; mais il portait en lui un principe qui devait changer la société tout entière, parce qu’il venait déjà de briser la loi d’autorité, le principe d’examen ; en outre, il voulait rétablir des rapports plus étroits entre l’ordre sacerdotal et l’état laïque : il voulait isoler le moins possible le prêtre du peuple. Il arriva de là que la théologie protestante fut obligée de faire une grande part, soit à l’esprit d’investigation, soit au mouvement général des idées. Le charme du surnaturel ne tint pas contre cette double puissance ; la raison, plus maîtresse d’elle-même, distingua les vertus chrétiennes du merveilleux chrétien, et prétendit contester l’un sans être obligée d’abdiquer les autres. C’est là toute l’histoire de la théologie allemande depuis la révolution philosophique du XVIIIe siècle, tout le fondement du rationalisme positif dont elle a long-temps su vivre avant de s’abandonner aux entraînemens périlleux de la métaphysique transcendante. On fit alors pour les livres saints ce qu’on faisait pour les latins et les grecs, on discuta les textes, on écarta le prestige qu’ils tiraient de leur origine, on jugea les événemens et les personnes avec une entière liberté, réduisant les choses au plus essentiel et substituant toujours à la notion révélée la pure notion d’ordre humain. Pendant que le clergé catholique, décimé par le martyre, après s’être