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contre lui ; la ligue lombarde triompha à Legnano, et la paix de Constance, sans affranchir les villes, légalisa leur force nouvelle en donnant un libre essor à la féodalité mercantile, ou, si l’on veut, à la démocratie féodale des arts et métiers.

La bataille de Legnano fut la première révolution dans l’histoire de l’aristocratie italienne ; la féodalité impériale se trouva dès-lors à la merci des communes. Chaque ville devint une république, chaque république poursuivit la victoire de Legnano en faisant main-basse sur la féodalité des campagnes. On rasa des châteaux, on supprima des juridictions féodales comme impies, on exigea que les grandes familles se fixassent à la ville. La féodalité fut-elle abolie ? le droit de l’empire fut-il supprimé ? Nullement : ce droit resta le fond de toutes les idées italiennes, personne ne nia la suprématie féodale de l’empereur en Italie, pas plus qu’on ne contesta la suprématie spirituelle des pontifes en Allemagne. La bourgeoisie des villes combattait pour des franchises plutôt que pour des principes ; elle attaquait les grandes familles sans attaquer l’aristocratie, elle s’agitait sans briser le pacte du moyen-âge. D’un côté, les grandes familles gardèrent les alliances aristocratiques ; la protection impériale, le prestige du droit : forcées de se fixer à la ville, elles y bâtirent des palais avec des tours et des prisons, vraies forteresses élégantes à l’usage de la guerre dans la cité. D’un autre côté, les familles républicaines, enrichies par le commerce, fortes de leur ascendant légal dans les corporations des arts et métiers, ces familles aux mœurs patriarcales, aux cent combattans, aux innombrables filiations, vrais partis politiques où tous les membres étaient solidaires, fortifiaient aussi leurs palais comme des châteaux, et développaient à leur tour un pouvoir héréditaire, avec les alliances, les ressources et les idées de la féodalité industrielle. Lorsque les nobles furent fixés à la ville, la dernière conséquence de la victoire de Legnano fut donc de transporter la guerre des castes au cœur des républiques. Dans toutes les villes, il y eut deux quartiers hostiles, deux classes ennemies, deux noblesses généralement représentées par deux familles sans cesse acharnées l’une contre l’autre et luttant sans cesse, l’une au nom de l’intérêt municipal, l’autre au nom de la féodalité des campagnes. C’étaient à Milan les Torriani et les Visconti, à Pavie les Langusco et les Beccaria, à Como les Bosconi et les Vilani, à Plaisance les Scotti et les Anditesi, à Parme les Rossi et les Sauvitali, à Vérone les Montecchi et les Sanbonifazio, à Verceil les Avogadori et les Tizzoni, dans la ville d’Asti les Solari et les Gottuari, à Ravenne les Pollenta et les Traversari, à Ferrare les Torelli et les marquis d’Este, à Bologne les Lambertazzi et les Geremei, à Pérouse les Oddo et les Baglioni, à Reggio les Sessi et les Fogliani. Nous abrégeons cette énumération, qui pourrait s’étendre à presque toutes les villes de l’Italie. Bornons-nous à rappeler encore qu’on vit à Florence