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Au fond, le débat restait sur tous les points un débat d’autorité ; les plus clairs ennemis qu’on eût en face de soi, c’étaient ceux qui niaient directement le principe d’obéissance aveugle. On suivait donc d’un œil sévère les agitateurs de Halle qui avaient si fort contribué à soulever les embarras dont on était assiégé depuis un an. Le gouvernement saxon, ne pouvant les atteindre lui-même, les signalait, du haut de la tribune, comme des fauteurs d’athéisme. Placée aux portes de Leipzig, la ville de Halle exerce peut-être une influence plus entière sur la Saxe que sur la Prusse. Elle remue à son gré la province de Hagdebourg mais son action se heurte à la marche de Brandebourg contre les résistances de la noblesse et du clergé, tandis qu’elle pénètre sans obstacle par la frontière saxonne. Halle est aujourd’hui l’un des endroits les plus vivans de l’Allemagne ; dans cette conspiration à ciel ouvert qui se trame maintenant partout de tant de façons, la petite université prussienne joue plus ou moins le rôle aventureux qu’avait pris Iéna dans les conspirations secrètes d’autrefois. Iéna semble déshérité à son profit. Je ne voulus point aller jusqu’à Berlin sans faire encore cette station sur ma route. Halle est à quelques heures de Wittemberg, et l’on me disait qu’il y avait là plus d’un nouveau Luther capable de soutenir contre l’ancien deux ou trois fois autant de propositions que celui-ci en avait jadis affiché contre le pape sur la porte de sa vieille cathédrale. J’étais très désireux d’aborder chez eux ces amis protestans, qui continuaient le protestantisme à leur manière, comme Luther avait continué le catholicisme à la sienne. Halle est leur citadelle, et, forteresse contre forteresse, Halle contre le Spielberg ou Spandau, je sais bien laquelle démolira l’autre.


HALLE

S’il est un fait qui prouve jusqu’à l’évidence le grand changement accompli depuis peu d’années dans la pensée allemande, c’est assurément l’agitation nouvelle récemment sortie de Halle, tant elle diffère, de celle qu’elle y a remplacée. Halle s’est, en effet, trouvée, dans un intervalle assez court, le foyer, le centre de deux mouvemens presque contraires, malgré leur faux semblant de parenté : les jeunes hégéliens y ont fondé leurs annales, et les amis protestans sont venus régulièrement s’y réunir. Les premiers ont fourni leur carrière plus vite et moins glorieusement qu’ils ne l’imaginaient, ils s’étaient annoncés comme les souverains maîtres de l’intelligence humaine, qui a dédaigneusement repoussé leur despotisme ; les autres ne se donnent point pour des conquérans, mais ils sont, à vrai dire, cette suprême et modeste puissance qu’on appelle tout le monde. Ils n’ont ni inventions propres, ni système original, ils ne prétendent ni à la science ni à l’empire : ce sont