propriété assez haut pour que De Vere ne puisse y atteindre, et d’ailleurs on y mettra bon ordre. Ainsi donc, adieu Mount-Sorel ! Dispersés en des mains mercenaires, saccagés par la charrue, ses grands bois, ses landes immenses, vont disparaître. Le hoblon, les colzas, vont effacer ses vestiges historiques. La vieille chapelle disparaîtra du rocher qu’elle couronnait si bien. Ses dalles blasonnées iront se perdre dans les matériaux à vil prix qu’un entrepreneur insolent fera servir à la construction d’une ferme-modèle. Les héros des croisades, les saints prélats, l’éminentissime cardinal, autant de poussières jetées au vent. Higgins va plus loin, dans sa double colère de plébéien outragé, de père privé d’un fils, il veut, — et Perrott l’y encourage, — que l’argent aille habiller, chausser, armer les sans-culottes envoyés par la France au-devant des soldats de Brunswick. Ainsi sa haine sera mieux satisfaite, ainsi le sacrilège sera plus complet, ainsi la dérision et l’insulte iront plus loin.
En se livrant ainsi au démon de la rancune, Higgins oublie que les inspirations de ce mauvais conseiller conduisent rarement au but ; il ne se dit pas, — et peut-être aurait-il dû le prévoir, — que cet acharnement raffiné, ce luxe de vindicatifs procédés, doivent fournir à De Vere l’occasion de quelque revanche éclatante. Le gentilhomme se venge en effet à son tour, mieux guidé par ses nobles souffrances, par ses angoisses patriciennes, que Higgins par ses paternels ressentimens. Le jour où il apprend que la donation de Mount-Sorel, d’abord faite à Reginald, sera décidément révoquée, De Vere trouve dans son cœur, — profondément blessé, un grand et généreux mouvement, un de ces élans qui suffisent pour racheter mille faiblesses. Ce jeune homme n’aura pas Mount-Sorel ; eh bien ! soit, s’écrie-t-il ; je lui dois dès-lors l’équivalent de ce que je lui fais perdre. Il n’aura pas Mount-Sorel, mais je lui donne ma fille ! »
Faut-il ajouter que, surpris de cette résolution si fière, si imprévue, quelque peu honteux de n’avoir pas su pressentir que De Vere saisirait avec joie cette occasion de se montrer supérieur à de mesquines représailles, piqué au jeu et bien décidé à ne pas se laisser vaincre, Higgins ne vendit pas Mount-Sorel. D’ailleurs, les infamies de Perrott, découvertes à temps, avaient refroidi la verve patriotique de son crédule ami, et finalement le beau domaine revint à qui de droit. Reginald et Clarisse l’ont habité toute leur vie, Edmont Lovel y a vieilli près d’eux, et c’est à l’ombre de ces ruines majestueuses, l’œil fixé sur ces grands bois intacts, qu’il nous raconte la chronique de famille où ils jouèrent un si grand rôle.
Sauf erreur de notre part, ce roman, qui ressemble d’abord à tous