cette circonstance inattendue, n’a garde de quitter Edmond Il faut donc qu’Edmond le présente et comment ? Par bonheur, Reginald, fils de Higgins, ne porte pas ce nom mal sonnant aux oreilles de De Vere : par là, du moins Edmond échappe à la nécessité d’avouer ex abrupto ses rapports intimes avec Mount-Sorel ; mais le malheureux n’échappe à un piége que pour tomber dans un autre. Reginald Higgins n’eût certes pas été accueilli comme l’est Reginald Vernon, que De Vere se hâte d’inviter, et sur qui Clarisse jette, à la dérobée un curieux et bienveillant regard. Est-il besoin d’en dire davantage ? Ne devinez-vous pas le drame qui se noue ?
Laissons là ce qu’il a de vulgaire, — c’est-à-dire les faits, — pour ne nous occuper que du détail intime par où certes il se relève. Reginald aime Clarisse et lui plaît, cela va sans le dire. Mais croyez-vous Reginald capable d’aller sans scrupules sur les brisées d’un ami comme Edmond Lovel ? Non certes. Le généreux jeune homme n’a pas plutôt pressenti une pareille rivalité, que, maître encore de son amour, il propose à Edmond de le lui sacrifier. Un mot, et il s’éloigne, renonçant pour jamais à miss De Vere. Ce mot, pourtant, n’est-il pas déjà trop tard pour qu’Edmond ose le dire ?
Cependant qu’on n’attende pas de lui, — et c’est ici qu’est l’intérêt de cette nouvelle lutte. — qu’on n’attende pas un héroïsme complet, un sacrifice immédiat de toutes ses espérances un holocauste froidement accompli de ses chimères aimées. Appelé à boire l’amer calice, il se débat, il résiste, il l’éloigne de lui. Sa sombre tristesse fait place à des résolutions désespérées. Il ne veut pas céder, il ne veut pas que sa bien-aimée soit à un autre. Plaidant sa propre cause avec l’énergie de la passion révoltée : — Pourquoi, s’écriait-il, pourquoi donc Reginald aurait-il tout ce que m’a refusé le ciel, et pourquoi, de plus, m’enlèverait-il ce dernier trésor ? À lui, sans Clarisse, la vie garde mille félicités. Il est beau, spirituel, adroit, séduisant. L’amour vient au-devant de lui, moisson toujours nouvelle et toujours dorée. Pour moi, si je perds une fois cette douteuse amitié, dont l’avenir fera peut-être un sentiment plus vif, rien ensuite, et plus rien encore. T’ai-je donc cultivée dès le premier matin, t’ai-je aidée à t’épanouir lentement, ô ma rose pâle ! ô mon lis sans parfums ! Pour te voir ainsi disparaître dans un rayon de soleil, le seul qui ait encore traversé l’ombre où tu vis ; où j’aurais vécu si heureux près de toi ? Est-ce un légitime droit, est-ce une justice réelle qui t’enlèverait à ma tendresse éprouvée ? Dois-je aller au-devant de ce supplice ? dois-je véritablement courber la tête sous cette inexorable nécessité ? — Ainsi s’exhale l’ame d’Edmond, et, durant les nuits fiévreuses, il se débat, comme Jacob, contre un messager du ciel, contre cet invisible lutteur qu’on appelle la conscience. Vainement cherche-t-il à se tromper sur ce qu’elle ordonne, vainement insulte-t-il aux résolutions