On comptait dernièrement qu’il y avait à Dresde mille fonctionnaires, cinq mille dépendans, plus encore d’indifférens ; c’est le lot accoutumé des petites capitales. Voici pourtant ce qui s’y disait alors dans un banquet public : « Il en est trop parmi nous qui se croient des employés ou des commis en face de leurs supérieurs ; ils ne se rappellent pas assez que la loi les a fais citoyens ; ils n’osent point agir dans les limites de la charte sans regarder au-dessus d’eux si la charte n’est point là chose déplaisante, et, pour peu qu’ils invoquent cette autorité sainte, ils tremblent aussitôt qu’on n’inscrive leur nom sur le livre noir des démagogues, qu’on ne les prenne pour ennemis personnels du ministère et du roi ; ils ont le mal de l’humilité politique, ce péché originel de la nature allemande. Faut-il donc ne jamais guérir ? D’autre part, le gouvernement ne se fie point au pays ; il ne sait pas la force qu’il y trouverait : nous ne réclamons pas la souveraineté de tous, mais il est bien permis de penser que l’appui d’un gouvernement constitutionnel est dans la nation et non pas hors de la nation. Il est bien dur de songer que, si gouvernans et gouvernés se donnaient à propos la main, les intérêts particuliers des cabinets étrangers ne franchiraient point notre frontière pour commander chez nous. Faut-il donc toujours obéir aux ordres que nous envoie la grande plume qui écrit à Francfort ? »
Le 14 septembre 1845, le roi venait ouvrir les chambres ; à côté du discours qu’on vient de lire, le sien est curieux : on croirait là deux sociétés sans contact. Les ministres avaient mis dans la bouche du monarque un réquisitoire formel contre le temps présent ; je n’entendis personne lui en imputer la faute. « Messieurs, disait-il, les troubles qui se produisent menacent de dépasser toute mesure, de renverser tout ordre légal ; vous m’aiderez, j’en ai le ferme espoir, à garantir l’église de cet ébranlement, si vous ne voulez pas que les piliers de l’état, les fondemens de l’existence humaine, la religion et la foi, s’affaissent et s’écroulent. » L’auteur responsable de cet acte d’accusation se présenta franchement devant les chambres pour en assumer la défense. M. de Koenneritz traça lui-même un exposé général de la conduite du cabinet, et des motifs qui l’avaient dictée. Le gouvernement n’ambitionnait qu’un triomphe et le proclamait tout haut : c’était d’empêcher « les idées fugitives d’un moment périssable de détrôner la parole éternelle de Dieu. » Élevés dans ces régions plus sublimes que pratiques, les débats constitutionnels auraient porté peu de fruits, s’ils s’y étaient renfermés ; mais il fallait cependant redescendre à terre et transiger avec le siècle tout en le maudissant. La position du ministère se trouvait ainsi vraiment originale et piquante ; il jouait un rôle de transition et le jouait avec talent ; à la manière dont il s’en acquitta dès les premières rencontres, je devinai mieux que jamais le passage d’une époque à l’autre. Quand M. de Koenneritz prêchait en pleine chambre ses argumens