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les circonstances sont telles, qu’il nous suffirait peut-être de le combattre trop ouvertement pour lui donner le crédit qui lui manque, les Espagnols se jettent presque dans les bras de l’Angleterre par dépit contre nous. D’ailleurs, la solution va peut-être devenir urgente. Les provinces basques sont en alarmes. La convention de Bergara était conclue dans des termes trop vagues pour pouvoir être absolue ; les provinces, fatiguées et non vaincues, ont gardé jusqu’à présent leurs privilèges, et c’est cette année seulement, d’après la loi votée aux cortes de 1845, qu’elles doivent partager le poids des impôts communs ; on a donc entrepris d’y organiser la perception des deniers publics sur le même pied que dans tout le royaume. Qu’adviendra-t-il de cette rigueur trop tardive ? Déjà M. Egaña, l’ancien député, le ministre de grace et justice sous le second ministère Narvaez, aujourd’hui intendant du palais de la reine, a inséré dans les journaux une protestation violente contre la mise en exécution de la loi. Cette protestation pourrait-elle être un acte isolé ? Il n’y a pas à douter que M. Egaña ne se soit porté l’interprète de ses compatriotes du nord. Si le pays basque remuait encore, on aurait une raison de plus pour presser un mariage qui doit donner une garantie définitive au trône d’Isabelle, et, sous le coup de la nécessité, pourquoi ne s’arrêterait-on pas au prince de Cobourg ? Sait-on si l’on ne présenterait pas cette alliance comme le seul expédient libéral qui pût sauver l’Espagne du comte de Montemolin ? L’expédient serait du moins difficile à justifier pour M. Guizot après les engagemens solennels qu’il a pris à la tribune en faveur de la maison de Bourbon ; il est vrai que la maison de Bourbon signifiait alors le comte de Trapani.

L’Angleterre est cependant occupée d’intérêts encore plus pressans aujourd’hui, et, quelle que soit l’importance de la question extérieure, les affaires intérieures semblent absorber toute son attention. Il vient pour ainsi dire d’y avoir crise ministérielle quinze jours durant. Il s’agissait de décider si lord John Russell emporterait la loi des sucres, comme sir Robert Peel avait emporté la loi des céréales ; de même que l’appoint des whigs était indispensable à sir Robert Peel, lord John Russell ne pouvait réussir sans le concours de sir Robert. Les deux rivaux ont été dignes l’un de l’autre ; l’ancien ministre avait pris la place du nouveau sur les bancs de l’opposition, il a voté pour son rival, comme son rival avait voté pour lui dans des circonstances analogues, l’intérêt suprême du moment étant d’abord, a-t-il dit, d’éviter un changement de cabinet ou une dissolution.

Il était assez facile de prévoir qu’il en serait ainsi, et les anxiétés qu’on voulait bien prêter aux whigs n’avaient guère de fondement que dans l’imagination ou dans la tactique des protectionnistes. Il eût été commode pour ceux-ci de battre successivement sir Robert Peel avec lord John Russell, et lord John Russell avec les amis de sir Robert Peel ; mais il eût fallu pour cela jusqu’à trois conditions qu’on pourrait bien résumer en quelques mots. Il eût fallu que sir Robert Peel ne partageât pas personnellement les idées de lord John Russell sur la matière, ou bien que ses anciens collègues, M. Goulburn et M. Gladstone, auxquels il avait cédé en demandant comme ministre la surtaxe du slave-sugar, exerçassent à présent plus d’influence que lui sur leurs communs adhérens. Il eût fallu que la cause religieuse, qu’on prétendait rattacher à la cause commerciale, fût moins maladroitement exploitée, que lord Bentinek ne se hasardât