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modifications qui, au moment décisif du scrutin électoral, pourront porter leurs fruits. Il semblait d’abord que les intérêts particuliers dussent seuls inspirer et diriger les électeurs ; peu à peu ont commencé de se produire des pensées, des intentions politiques. Nous avons vu, Dieu merci, l’intérêt général préoccuper aussi les esprits ; on s’est mis à parler de progrès, de réformes ; on s’est demandé si la conquête définitive de l’ordre et de la stabilité ne devait pas avoir d’autre résultat qu’une routine stationnaire ; le ministère lui-même a voulu se mettre à l’unisson de ce langage dans le discours du banquet de Lisieux. Accorderons-nous à l’acte insensé qui a été commis dans la soirée du 29 juillet la puissance d’anéantir toutes ces bonnes pensées, toutes ces bonnes dispositions du pays ? Une réponse affirmative serait pour l’intelligence de la France la plus sanglante injure. Les conservateurs les plus probes ou les plus avisés se sont hâtés de déclarer qu’un pareil incident ne pouvait rien changer ni à la situation ni à la disposition morale des partis politiques. Nous ajouterons que, cet incident eût-il toute la gravité dont il paraît manquer, la France électorale devrait y puiser de nouveaux motifs de doter le pays d’une chambre progressive sans radicalisme, et sachant porter sur les points nécessaires une réforme intelligente et modérée.

Dans ce moment même où tous les partis semblent d’accord pour admettre qu’une politique nouvelle va sortir en France du scrutin électoral, de nouvelles questions s’ouvrent au dehors, et ce sera le devoir rigoureux du prochain parlement d’en surveiller le progrès. Nous ne croyons pas nous tromper en supposant que, dans un avenir moins éloigné qu’on ne pense, les plus graves complications peuvent se produire en Espagne ; nous ne nous trompons certainement pas en ajoutant que les faiblesses et les fautes du gouvernement français auront contribué pour beaucoup aux embarras dont il est menacé. Le mariage de la reine occupe plus que jamais les esprits : deux candidats assez inattendus sont décidément sur les rangs, l’un présenté à haute voix par la presse, l’autre introduit à petit bruit par la diplomatie, le duc de Cadix et le prince de Cobourg. Il s’est opéré, dit-on, un revirement subit dans le cœur de la reine Christine : elle sacrifie ses antipathies aux convenances de l’Espagne, elle abjure les mauvais sentimens qu’on lui prêtait à l’égard de ses neveux. Le plus jeune, l’infant don Enrique, a des torts vis-à-vis d’elle et des engagemens avec les partis, il n’y faut plus penser ; mais reste l’aîné, don François d’Assise, duc de Cadix : celui-ci paraît jusqu’à présent avoir voulu se tenir à l’écart, et on doit lui rendre cette justice, qu’il n’ambitionnait pas l’honneur dont on prétend l’investir ; il ne montre même qu’un empressement très médiocre en réponse aux politesses imprévues qui vont le chercher. Les uns affirment qu’il aurait quelque répugnance à gouverner autrement que Ferdinand VII, et le regardent comme un partisan trop consciencieux du rey netto, pour qu’il puisse volontiers s’accommoder des fictions constitutionnelles. D’autres attribuent sa modestie à des raisons plus particulières : il y eut un roi d’Espagne qui s’appela Henri l’impuissant ; son règne n’est fait pour tenter personne. On prêche néanmoins cette candidature avec un fracas qui a fini par lui donner du sérieux : le journal qui s’en est constitué l’organe a gardé des patrons au ministère, sans renier celui qu’il a récemment perdu par l’exil, et il ne faut pas se dissimuler que tout est possible dans cet imbroglio matrimonial ; mais il ne faut pas non plus oublier que le ministère du moment n’a pas qu’un seul esprit et une seule volonté. Nous ne serions