exemple. La médiocrité, qui se dispense volontiers de tout effort, que la comparaison écrase et que confond la lumière, n’a pas manqué de s’en prévaloir. M. Ingres, et en général tout peintre qui a de grandes qualités, se défendra toujours au salon par ses qualités. Qu’il laisse donc à la malveillance la petite satisfaction de contester ses qualités, qu’il ne refuse pas à la critique impartiale le droit de lui signaler ses défauts une gloire durable ne s’acquiert qu’à ce prix.
Quand M. Ingres se décida à cette sorte de divorce avec le public, on était alors au fort de ce mouvement d’émancipation qui suivit la lutte ardente que Géricault avait engagée avec l’école impériale, et que MM. Delacroix et Sigalon, et même M. Paul Delaroche, avaient continuée. La révolution provoquée par les novateurs allait s’accomplir, et, à la suite d’une féconde anarchie, de nouveaux talens allaient se produire, talens fort divers, mais procédant la plupart des écoles flamande, vénitienne ou espagnole, plutôt que de l’école romaine. Cette retraite devant l’ennemi présentait donc de grands dangers et pouvait amener la déroute de la petite phalange que M. Ingres avait réunie, si son chef eût été moins ferme et moins habile, et si, à découvert dans les salons du Louvre, il n’eût pris en dehors d’excellentes positions, soit à l’Institut, soit à la direction de l’académie de France à Rome.
Le passage de M. Ingres à la direction de l’école française de Rome fut surtout signalé par l’ardeur qu’il mit à rallier les fidèles et à les discipliner. Cette préoccupation un peu exclusive porta même ombrage à l’Institut, qui crut de son devoir de protester. M. Ingres laissa dire, endoctrina, catéchisa, et, chose singulière, ces cinq années de retraite et d’éloignement, de 1835 à 1840, furent aussi favorables aux progrès de son école que les dix années qu’il avait passées autrefois à Rome et à Florence avaient été profitables à sa renommée. Ce résultat, si étrange qu’il paraisse, s’explique aisément. Chez les hommes de génie, le besoin de convaincre tourne souvent au prosélytisme, comme la conscience qu’ils ont de leur valeur se change en orgueil. On devient d’autant plus exclusif et d’autant plus tranchant, qu’on est plus convaincu de l’excellence de sa manière. Toute rivalité blesse, tout voisinage offusque ; non pas qu’on redoute la comparaison, mais parce qu’on se sent tellement supérieur, qu’on ne veut pas qu’un autre puisse se placer à côté de soi. M. Paul Delaroche refusant de se charger de la décoration de l’église de la Madeleine parce qu’un autre eût pu concourir à cette même décoration, et M. Ingres faisant effacer les peintures que M. Gleyre avait exécutées au château de Dampierre, et qui eussent figuré en regard des siennes, ont obéi à cette sorte d’amour-propre exalté qui fait les grands artistes, mais qui trop souvent ne profite à leur gloire qu’aux dépens de leur caractère. A distance, il est vrai, les imperfections de l’homme disparaissent, tandis que les œuvres qu’il produit, et qu’un