d’être des copistes de Raphaël, ils furent aussi bien coupables ! Le Corrège, c’est la grace parfaite, mais ce n’est qu’une partie de Raphaël : Raphaël gracieux. Lesueur, Poussin, ne sont aussi que des parties du divin maître : Lesueur, la partie candide et sainte ; Poussin, la partie philosophique et modérée ; tous procèdent de Raphaël, mais Raphaël les comprend tous. »
Raphaël, pour M. Ingres, c’est la perfection, c’est le dernier mot de l’art. Une admiration si fervente et si absolue conduit nécessairement à imiter l’homme de génie qui en est l’objet ; aussi M. Ingres regarde-t-il l’imitation comme nécessaire et obligée. C’est le point de départ des arts du dessin. Il faut y attacher ce fil qui doit guider l’artiste dans sa route souvent ténébreuse, ce fil qu’il ne doit ni trop tendre ni trop dérouler, et qu’il ne peut lâcher sans s’égarer. « Tous les grands artistes se sont imités l’un l’autre, ajoutait M. Ingres, grimpant sur le dos ou se haussant sur l’épaule de ceux qui les ont devancés. Celui qui arrive le plus haut, c’est le maître, devant lequel il faut humilier son esprit et son front. C’est Raphaël ou Phidias : Phidias, roi de la sculpture ; Raphaël, roi de la peinture. » On sent tout ce qu’une pareille doctrine présente de dangereux ; elle doit conduire les esprits faibles à un calque servile ; et, pour eux, l’œuvre d’art la plus accomplie sera le meilleur pastiche de Raphaël, puisque Raphaël est le plus grand peintre qui ait existé. Non contens de tenir le fil, ceux-là le raccourcissent autant qu’ils peuvent. M. Ingres vit bientôt qu’on l’avait mal compris ; il résolut de joindre l’exemple au précepte, et de montrer à ces copistes maladroits comment on devait imiter Raphaël. Il composa son Apothéose d’Homère.
Cette composition, la plus vaste que M. Ingres ait exécutée, et celle que ses admirateurs proclament son chef-d’œuvre par excellence, le montre sous une face imprévue. L’imitation de Raphaël ne se fait sentir que dans les détails, non dans l’ensemble du tableau, et, il faut le dire, cette irréprochable beauté qui rayonne, à l’égal de la lumière, dans chacune des compositions du peintre de l’École d’Athènes ne brille pas d’une clarté complète sur la toile du peintre d’Homère. Qui dit beauté dit ampleur et ordre ; chez M. Ingres, l’ordre paraît l’emporter sur l’ampleur ; aussi, dans sa composition, l’aisance et la grace semblent-elles sacrifiées à la précision et à la clarté. Les qualités et les imperfections de sa manière s’y montrent, les unes dans tout leur éclat, les autres dans toute leur nudité. Le premier aspect n’a rien qui appelle et qui séduise : le coloris est gris et terne, la composition froide et systématiquement ordonnée ; la majesté de l’ensemble, le calme et l’harmonie de toutes ses parties, n’apparaissent qu’après une contemplation de quelques instans. C’est alors qu’à côté des plus grandes beautés, on est surpris de découvrir des imperfections qu’on pourrait croire calculées pour faire ressortir ces beautés. C’est ainsi que la figure d’Homère, malgré