dessins à la mine de plomb, qui sont innombrables. Quant à ses grandes compositions, M. Ingres les travaille à loisir, sans hâte, et sans tenir compte de l’impatience française, défaisant, refaisant, et, comme Léonard de Vinci, cherchant l’excellence sur l’excellence, la perfection sur la perfection. Léon X ayant commandé un tableau au peintre de Monna Lisa, celui-ci se mit à distiller le suc d’arbustes résineux dont il se proposait de composer un vernis. « Nous n’aurons jamais rien de cet homme, dit avec humeur l’impatient Léon X, prévenu contre l’artiste florentin ; avant d’avoir commencé, il s’occupe de ce qui doit terminer. » M. Ingres, comme Léonard de Vinci, hésite long-temps avant d’entreprendre, met beaucoup de temps à terminer, et se préoccupe souvent de la manière dont il achèvera son œuvre avant de l’avoir commencée. M. Ingres semble d’ailleurs avoir fait une étude particulière des tableaux que Léonard de Vinci peignit pendant son séjour à Rome, après avoir vu les peintures de Raphaël, tels que la Madone du couvent de Saint-Onuphre, où repose le passe, et l’admirable Vierge de Saint-Pétersbourg. On remarque dans ces tableaux la manière de Raphaël appliquée par un génie tout différent. L’analogie existe surtout dans les procédés d’exécution. Ce sont les mêmes lumières un peu froides, les mêmes ombres grises ou blondes, qui ne sont ni reflétées ni frottées, mais empâtées avec des couleurs non transparentes et participant des clairs ; enfin il y a trop de fini dans toutes les parties de la composition. Chez M. Ingres, on retrouve les mêmes qualités et les mêmes défauts : ses têtes ne sont pas grecques comme on l’entendait il y a trente ans, elles ont une beauté qui leur est propre, beauté de tous les temps et de tous les lieux ; mais la forme, toujours choisie et distinguée, pèche par le modelé, qui n’est pas suffisamment accusé. Bien que venu après le Corrège et les Vénitiens, M. Ingres ne sait pas donner à ses figures autant de relief que Léonard de Vinci, leur devancier. On voit qu’il n’a pas été sculpteur comme le peintre du Cénacle, qui aimait à répéter que ce n’était qu’en modelant qu’il avait appris la science des ombres[1].
M. Ingres n’est pas coloriste, mais nous croyons que, s’il se prive des, ressources du clair-obscur, c’est, plutôt par système que par impuissance. Son tableau de la Chapelle Sixtine prouverait au besoin cette assertion. Nous avons vu ce tableau placé à côté de la Stratonice, dont il faisait ressortir, par sa simplicité vigoureuse, l’éclat un peu stérile. Dans la Stratonice, M. Ingres a sacrifié aux accessoires et aux détails archéologiques l’harmonie et l’unité d’effet. Dans la Chapelle Sixtine, chaque objet est à sa place. Les énergiques figures du Jugement dernier
- ↑ Voyez la main droite de la Joconde (Monna Lisa, femme de Francesco de Giocundo.)