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de l’auteur, et Stratonice et Antiochus, œuvre d’une date plus récente, sont à peu près les seules productions de M. Ingres dont l’amour soit le sujet. On retrouve dans chacune de ces compositions les éminentes qualités de l’artiste : comment se fait-il que chacun de ces petits drames laisse le spectateur si calme ? La pensée qui a présidé à la composition de Raphaël et de la Fornarina était heureuse. C’est une sorte de représentation symbolique de la lutte entre la matière et l’esprit. L’esprit a le dessous ; il suffira d’une dernière étreinte de la Fornarina pour l’étouffer ; mais cette femme, qui personnifie la matière, pourquoi le peintre l’a-t-il dépouillée de ces charmes qui captivèrent l’immortel artiste, idolâtre du beau ? Si la Fornarina eût ressemblé à l’image que M. Ingres nous en donne, Raphaël ne serait pas mort à trente-sept ans.

Dans le tableau de Françoise de Rimini, M. Ingres a voulu retracer le moment où les deux amans, tout entiers à leur amour, sont surpris par l’époux outragé. L’attitude de la jeune femme est charmante, le livre s’échappe admirablement de ses mains distraites. La voilà bien toute tremblante sous le baiser, comme Dante nous l’a représentée :

La bocca mi baccio tutto tremante,
Galeotto fu il libro !


Paolo nous paraît un peu froid. A cet âge, on est ou plus timide ou plus ardent. La représentation matérielle du baiser aurait pu être caractérisée plus heureusement que par l’allongement du cou et des lèvres. L’antiquité, dans ce genre, nous a laissé d’admirables modèles. Quant à Gianconnito, qui soulève la tapisserie en tirant sa longue épée, il est d’une laideur qui peut justifier Francesca, mais qui touche à la caricature ; Gianconnito a dû être calqué sur quelque peinture florentine du temps. Sa physionomie n’exprime pas la jalousie, mais la méchanceté. Ajoutons cependant que ce personnage si laid n’est pas vulgaire et qu’il a du moins le mérite de ne pas ressembler à tous ces traîtres de mélodrame qui, de 1810 à 1830, avaient fait irruption dans les galeries du Louvre.

Le tableau de Stratonice et Antiochus est une des dernières productions de M. Ingres, et peut-être la plus travaillée. Le motif choisi par le peintre est intéressant. Le jeune Antiochus est atteint d’un mal inconnu qui met sa vie en danger. Le médecin Érasistrate, placé au chevet du moribond, cherche à découvrir le principe de la maladie, quand tout à coup Stratonice, la belle-mère du jeune prince, traverse l’appartement où il repose, distraite, rêveuse, en proie elle-même à une secrète langueur. Antiochus la voit, se jette en arrière et voudrait se cacher. Érasistrate, à qui ce mouvement n’a pas échappé, pose la main sur le cœur du malade ; ses battemens précipités lui ont tout révélé. Son geste, son regard attaché sur la princesse, expriment à la fois là surprise et la