carnation est bise et monotone. Les parties sur lesquelles la lumière devrait être dégradée la reçoivent autant que les parties les plus saillantes : il n’y a même, à proprement parler, aucune partie réellement saillante, tant la lumière est étendue à plat, sans art et sans ménagement. Il est évident que l’artiste a péché sciemment, qu’il a voulu mal faire. »
M. Kératry, dans son Annuaire du même salon, insistait sur ces mêmes critiques : « Je regrette de voir ce jeune artiste (M. Ingres avait alors près de quarante ans) se donner beaucoup de peine pour gâter un beau talent. En effet, cette femme, vue par le dos, est faible de dessin, puisque les bras sont d’une maigreur choquante ; de coloris, puisqu’elle ne présente qu’une teinte uniforme, où aucune des parties du torse n’est accusée ; d’expression, puisque ses traits, d’ailleurs assez bien proportionnés, ne révèlent aucune pensée, ne donnent l’indice d’aucun sentiment ; et pourtant on ne sait comment il y a là quelque chose du Titien… Une des plus grandes faveurs que l’on pourrait faire à ce morceau serait de le croire sorti de l’école du Pérugin. Il serait déplorable que M. Ingres eût foulé en vain la terre qui faisait jadis les héros et qui fera encore les artistes… Il a pris une fausse route ; nous le lui dirons, dût notre censure être taxée de sévérité. »
Aujourd’hui tout est bien changé ; les continuateurs de Landon, et sans doute M. Kératry lui-même, placent M. Ingres à côté de Raphaël, dont il aurait retrouvé la ligne noble et pure, l’ordonnance simple et savante, et ce sont les novateurs du jour qui, au sujet du même tableau, répètent les critiques de Landon. L’Odalisque est, après tout, un des meilleurs ouvrages de M. Ingres, celui où, comme dessinateur, il a montré le plus de rigueur et le plus d’élégance. Le modelé est savant, quoique peu accusé, car, pour nous, la science ne consiste pas à tout exprimer, mais à reproduire la forme ou le détail caractéristique. Les bras sont peut-être un peu grêles, et la partie supérieure du bras droit paraît étranglée. L’artiste, par ce détail, a voulu sans doute faire sentir l’extrême jeunesse du modèle ; mais cette concession faite à la réalité, et qui n’aurait rien que de naturel chez un disciple des Allemands ou des Florentins qui s’inspirerait d’Holbein ou du Bronzino, peut-elle concorder avec les immuables principes qui constituent l’idéal de la forme, ou la beauté par excellence ? Quant au coloris, il n’est pas si insuffisant qu’on l’a prétendu. Il s’écarte, du moins, de toute convention, et rappelle la nature, qui n’est ni si reflétée ni si brillantée qu’on se plaisait alors à la représenter. Il doit, en outre, à l’empâtement des ombres une solidité qu’on rencontre assez rarement dans les peintures de la même époque (1819), dont les ombres, indiquées par quelques glacis de bitume, manquent de fermeté, et dont les clairs même sont à peine empâtés. Aussi, après moins de trente années, la plupart de