indifférence pour toutes les spéculations plus ou moins vaines qui passionnent les hommes.
Ce scepticisme et cette indifférence qu’on reproche à M. Ingres tiennent en quelque sorte à la nature même de son talent, essentiellement abstrait, à son amour pour la forme correcte et précise, à son culte pour la beauté. Il veut la chercher où il croit la rencontrer, par-delà la grossière atmosphère des passions humaines, dans ces régions sublimes et sereines d’où sont descendus autrefois les trois Vénus, l’Apollon, le Jupiter, l’Antinoüs, et toutes ces gracieuses créations du ciseau grec où la forme triomphe avant tout. Ce culte de l’art pour l’art, cet amour de la beauté pour elle-même n’est du reste pas si stérile qu’on l’a bien voulu dire. En épurant le goût, il épure l’ame. Malheureusement les efforts qu’a faits M. Ingres pour atteindre l’immuable beauté n’ont pas répondu toujours à sa volonté et n’ont pas été couronnés d’un plein succès. Dans chacune de ses compositions si variées, on sent plutôt la tendance et l’aspiration vers la perfection idéale qu’on ne rencontre cette perfection. Ce résultat a droit de nous surprendre. Il résulte de diverses causes, et, en première ligne, d’un parti pris d’imitation peut-être un peu trop rigoureux. On s’écriait autrefois : . Le maître a dit, et ces mots tenaient lieu de toute invention et de tout raisonnement ; M. Ingres est peut-être trop disposé à répéter, en y attachant la même nécessité de se soumettre, le même renoncement de toute idée qui lui soit propre : Raphaël a peint. Raphaël, pour lui, c’est l’art tout entier. Cette subordination ; toute volontaire qu’elle soit, a de graves inconvéniens. Elle refroidit l’imagination ; le style, trop contenu, devient timide, l’aisance se perd, la forme tourne à la maigreur, la ligne manque de souplesse, et le contour, précis jusqu’à la dureté, se détache avec une sécheresse par trop primitive. Ce même système d’imitation conduit nécessairement au sacrifice du coloris. La couleur, pour les peintres des écoles archaïques, ne sert plus que de complément au dessin, qui même a la prétention de tout dire sans son aide, tandis que chez les peintres vénitiens et flamands la couleur semble suffire pour tout exprimer. Ces peintres archaïques peignent et modèlent avec le crayon, tandis que les vrais coloristes dessinent avec la brosse et modèlent avec la couleur.
Pendant son séjour en Italie, outre ses peintures du palais de Monte-Cavallo, M. Ingres composa un certain nombre de tableaux, dont quelques-uns seulement nous sont connus. C’est de cette époque que datent la Chapelle Sixtine, Raphaël et la Fornarina, Francesca da Rimaini, le cardinal Bibiena fiançant sa nièce à Raphaël, le Virgile lisant son poème devant Auguste, dont M. Ingres a multiplié les esquisses et les dessins, et un grand nombre de portraits peints et de petits portraits à la mine de plomb, où se révèle tout le talent du grand dessinateur. M. Ingres,