furent moins déplorables qu’on voudrait le faire croire aujourd’hui, puisque l’exemple donné par le ministre de Louis XIV pour la protection de l’industrie intérieure s’éleva à la hauteur d’un principe, et qu’il fut appliqué par toutes les nations européennes. A la place d’un ministre dévoré par son zèle, et poussant jusqu’à la tracasserie le besoin de protéger et d’améliorer ; eût-il été préférable pour la France d’avoir un tuteur inerte, abandonnant la population industrielle à ses instincts ? Quoique partisan, en principe, de la liberté des échanges, quoique touché des excellentes raisons que les théoriciens produisent contre les déceptions du régime protecteur, je n’ose donner à mon jugement une tendance rétroactive, et me joindre à M. Clément pour blâmer Colbert. L’économie politique, procédé d’analyse appliqué à des matières essentiellement variables, doit se défier des axiomes absolus. Chaque système a ses abus et ses dangers. On a ressenti les vices de la prohibition et des entraves réglementaires ; on n’a pas encore expérimenté les dérèglemens de la liberté. Ne se trouve-t-il pas déjà des esprits distingués qui sollicitent, comme un progrès, un retour intelligent vers plusieurs des principes de Colbert ? On a reproduit récemment, dans l’intérêt des ouvriers, des programmes de corporations. Les innombrables plans pour l’organisation du travail ne sont que des protestations contre le système de la concurrence illimitée. Quelques publicistes, d’accord avec les négocians probes, demandent qu’on organise une inspection des marchandises destinées au commerce extérieur. Quant aux douanes protectrices, il est incontestable qu’elles ont eu leur utilité. À ce sujet, M. Clément, partisan déclaré du libre commerce, est conduit plus d’une fois à se mettre en contradiction avec ses théories : « Le colbertisme, avoue-t-il, a puissamment contribué à mettre la France au premier rang des nations manufacturières du globe. » M. Clément ajoute, il est vrai : « Quant à l’influence exercée sur la classe agricole et sur le développement de la richesse nationale, l’examen attentif et approfondi des faits démontrera, je crois, qu’elle fut loin d’être aussi heureuse que Colbert avait espéré, et qu’on le croit communément. » L’agriculture, en effet, eut beaucoup à souffrir sous le règne de Louis XIV ; mais serait-il juste d’attribuer exclusivement son malaise au régime industriel de Colbert ? L’assiette de l’impôt, la sécurité politique, le chiffre de la population, sont les principales circonstances qui influent sur l’exploitation du sol. Ces circonstances n’étaient rien moins que favorables pendant la seconde partie du XVIIe siècle. Au siècle suivant, les principes de Colbert, encore en vigueur, n’empêchèrent pas notre agriculture de devenir très florissante. Quoique la sortie des grains restât prohibée en France jusqu’en 1764, et qu’au contraire elle fût encouragée en Angleterre par des primes, l’extension et les progrès de la culture s’accomplirent parallèlement
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