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sous forme de simple déclaration destinée à interpréter le tarif précédent, une ordonnance de laquelle doit sortir une révolution commerciale et par suite une guerre mémorable. Sous prétexte de quelques vices à réformer dans l’équilibre des droits à l’entrée des marchandises d’origine étrangère et à la sortie des matières premières, on lance un nouveau tarif dont les chiffres, échelonnés avec beaucoup d’habileté dans les proportions de 1, 3, 5, 7 1/2, 10 et 20 pour 100 sur la valeur, équivalent en beaucoup de cas à une complète prohibition. Les articles directement menacés sont ceux que fabriquent avec le plus de succès l’Angleterre et la Hollande : draperies, bonneteries, tapisseries, cuirs façonnés, toiles, dentelles, sucres, glaces, ustensiles de fer-blanc. Les draps, taxés en 1664 à 40 livres par pièce de 25 aunes, sont portés à 80 livres ; les tapisseries de Hollande s’élèvent de 120 à 200 livres le cent pesant ; les toiles de Hollande et de Flandre, de 2 à 4 livres par pièce de 15 aunes ; les dentelles de Flandre ou d’Angleterre, de 25 à 60 livres. En même temps qu’on frappe d’exclusion les industries rivales, on croit faciliter l’écoulement des produits du sol français en réduisant les droits de sortie : le dégrèvement porte particulièrement sur certaines qualités de nos vins. La chimère du ministre est celle du siècle ; il croit qu’on ne s’enrichit qu’en vendant beaucoup et en achetant le moins possible, et que le pays le plus riche est celui qui possède une plus grande abondance de métaux précieux. La comparaison des totaux de l’importation et de l’exportation devient à ses yeux une balance politique au moyen de laquelle on doit peser exactement les bénéfices d’un pays. Il ne sait pas (qui le savait de son temps ?) qu’il est impossible de vendre sans acheter, que l’étranger qui solde un échange avec de l’or livre lui-même son métal précieux à titre de marchandise, et que cette marchandise perfide, mesure élastique de toutes les autres valeurs, perd de son prix lorsqu’on l’amoncelle dans un pays sans consulter les besoins naturels de la circulation.

La prétention de protéger l’industrie par le mécanisme des tarifs était si bien dans les idées du temps, que l’Europe ne sentit pas aussitôt la portée de l’édit de 1667. Atteints directement, les Hollandais seuls jetèrent le cri d’alarme. Ils dépêchèrent à Paris le plus habile de leurs négociateurs, Van Beuningen, échevin d’Amsterdam, qui avait, selon Voltaire, la vivacité d’un Français et la fierté d’un Espagnol. Les ruses les plus subtiles de la diplomatie, menées avec autant de fermeté que de circonspection, échouèrent devant la conviction inébranlable du ministre. Colbert croyait n’avoir pas besoin de ménager les Hollandais, précisément parce que le train des affaires entre le royaume et la petite république était considérable. L’exportation de la France pour la Hollande, qui aujourd’hui flotte entre 13 et 18 millions de francs, était douze à quatorze fois plus forte il y a deux siècles. Les envois de 1658