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les Français eux-mêmes. Il paraît que, pour racheter le désavantage de leur situation, nos fabricans eurent la déplorable idée d’obtenir le bon marché par des manœuvres frauduleuses. « Je pense, dit à ce sujet Isaac de Laffemas, le redoutable conseiller de Richelieu, je pense avoir lu dans les mémoires de mon père, qui parlent des abus des marchandises et des manufactures, que les cuirs ont été tellement altérés de leur bonté, que ceux qui s’en voulaient fournir en France ont été contraints de s’en fournir ailleurs. » Beaucoup d’autres objets d’exportation furent signalés comme ordinairement falsifiés. Le remède était beaucoup plus dangereux que le mal. Nos produits tombèrent en discrédit sur les marchés lointains. Bien que le commerce français fût encore très important sous le règne de Louis XIII, on le considérait comme déchu par comparaison avec l’activité de la période précédente. On se rappelait tristement qu’au XVIe siècle les tisserands et les teinturiers français étaient universellement estimés ; que les toiles de Normandie, de Bretagne et de Poitou, ne craignaient pas la concurrence des Pays-Bas ; que les soieries de Lyon et de Tours avaient cours comme celles de l’Italie. On se demandait pourquoi on était réduit à acheter pour 800,000 livres de faux en Allemagne, tandis qu’auparavant les seules forges de la Bourgogne et du Nivernais, les seuls ateliers de Saint-Étienne, où l’on comptait soixante mille taillandiers, envoyaient des outils dans les plus lointaines contrées du monde. On commençait à craindre les effets de la concurrence pour l’industrie de nos trois mille gentilshommes verriers, pour les orfèvres parisiens, pour les belles papeteries de l’Auvergne menacées par la Hollande, pour l’imprimerie et la librairie, qui déjà occupaient cinquante mille personnes dans le royaume. Organes de l’opinion publique, ceux qui faisaient entendre ces doléances semblaient d’accord pour réclamer les mesures qui devaient être réalisées par Colbert. Les deux Laffemas, Montchrestien, et, plus tard, Savary le père, demandaient. des taxes prohibitives à l’exemple des nations étrangères, des lois protectrices pour notre marine marchande, une surveillance destinée à prévenir les fraudes qui déshonoraient notre commerce, l’établissement des haras, divers encouragemens pour l’industrie[1]. La

  1. On a cité, comme opposée aux principes de Colbert, une pièce très curieuse conservée par Forbonnais, les Très humbles remontrances des six corps de marchands de Paris en 1654, à l’occasion de l’élévation des droits de douane : mais il s’agissait alors d’une surtaxe excessive frappée à tort et à travers sur toutes les entrées et les sorties, au grand préjudice du commerce, et non pas d’une application systématique des droits protecteurs. Forbonnais lui-même, qui désapprouvait l’élévation désordonnée des droits perçus aux frontières, n’a eu que des éloges pour le tarif protecteur de 1667. Il est à remarquer qu’anciennement on blâmait dans les traites foraines l’élément fiscal, mais qu’on approuvait l’élément prohibitif à titre de protection. Le contraire a lieu aujourd’hui : les économistes admettent un droit de douane comme nécessité fiscale, et repoussent toute surtaxe prohibitive.