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des embarras. La magistrature, dont les honoraires ne figuraient pas au budget, s’indemnisait aux dépens des plaideurs. Les cultes qui nous coûtent près de 40 millions, l’instruction publique qui dépense 17 millions, étaient desservis autrefois au moyen des biens considérables immobilisés en faveur du clergé et de l’université, biens exemptés de l’impôt et stériles pour le trésor national. Le service des ponts-et-chaussées, remplacé par les corvées, coûtait beaucoup plus cher aux paysans que de nos jours. Les frais de régie financière, la perception des impôts et revenus qui figure aujourd’hui au budget des dépenses pour plus de 150 millions, restaient jadis au compte des compagnies qui affermaient les revenus de l’état, et il est certain que les traitans, désespoir des populations, étaient bien plus onéreux que les commis, trop nombreux sans doute, de notre administration moderne des finances. Le chiffre de nos dépenses est chaque année gonflé d’une manière fictive par les remboursemens et les restitutions que nos comptables inscrivent pour ordre au passif ; mais cet article, qui dépasse 60 millions, ne constitue pas une charge réelle pour les contribuables, puisqu’on leur rend d’une main ce qu’on vient de recevoir de l’autre. Enfin, si l’on met en balance la valeur relative de l’argent aux deux époques, on reconnaîtra que l’impôt sous Louis XIV était au moins aussi lourd pour la classe laborieuse que sous le gouvernement constitutionnel.

C’est surtout comme organisateur de l’industrie et du commerce que Colbert a donné prise aux attaques systématiques. Ouvrez les traités, les histoires de l’économie politique, vous y verrez que la prétention de protéger l’industrie nationale par l’exclusion des produits étrangers est un système imaginé par Colbert. Le ton que prend M. Clément en parlant du colbertisme semble confirmer sur ce point les idées vulgairement admises. On serait plus disposé à l’indulgence pour le ministre de Louis XIV, si l’on connaissait mieux les mœurs commerciales du XVIIe siècle : on verrait que le système protecteur était préconisé depuis long-temps par les publicistes, déjà mis en pratique par la plupart des nations voisines, et que la France, en l’organisant à son tour, se constituait pour ainsi dire en état de légitime défense. Je ne crains pas de trop m’étendre sur un sujet qui est à l’ordre du jour. Je puise la plupart de mes renseignemens dans un livre rare et peu connu, écrit sous la minorité de Louis XIII[1].

  1. Traité d’Économie politique, dédié au roi et à la reine-mère, par Antoine de Montchrestien, sieur de Vatteville (Rouen, 1615, in-4o). A la suite du volume que j’ai dans les mains est un autre ouvrage sans autre indication qu’un faux-titre, avec ces deux mots : Du Commerce ; c’est un discours de deux cents pages in-4o, avec une pagination séparée, mais de même impression, de même date, et probablement du même auteur que le précédent. Ces deux discours, écrits à une époque où la science économique n’était pas faite, n’ont pas la forme dogmatique, mais ils abondent en renseignemens sur l’administration du temps. Remarquons, à titre de singularité, que Montchrestien, le vénérable ancêtre de nos économistes, a eu également l’honneur d’être un des prédécesseurs de Corneille. Huit tragédies de sa façon ont été jouées à l’Hôtel de Bourgogne et recueillies en un volume in-4o, réimprimé jusqu’à trois fois.