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ajoutant leurs aptitudes spéciales à l’intelligence du prince, toujours prêts surtout à s’effacer devant la volonté royale. Un bon et vrai gentilhomme, existant par lui-même, eût limité dans les conseils l’omnipotence du monarque et l’eût offusqué. Le maître préférait pour ses auxiliaires des parvenus légèrement frottés de noblesse, instrumens souples et de peu de poids, qu’on aurait pu briser sans scrupules. Aussi les grands seigneurs, qui se réservaient le monopole des hauts grades militaires, regardaient-ils alors les fonctions ministérielles comme une sorte de domesticité, et les plus hautains d’entre eux affectaient de jeter sèchement le titre de monsieur à ces puissans ministres d’état, qui réclamaient la qualification de monseigneur. Par son origine, comme par ses talens et son caractère, Colbert se trouvait dans la condition la plus favorable pour asseoir sa fortune.

Répéter, suivant la tradition, que Jean-Baptiste Colbert était le fils d’un marchand de Reims, c’est s’exposer peut-être à une réclamation. La famille du grand homme a adressé récemment à M. Eugène Sue copie de plusieurs pièces, desquelles il résulte que le père, la mère, l’aïeul de Jean-Baptiste Colbert ajoutaient à leurs noms des titres nobiliaires ; que son cousin, et plus tard son propre fils, avant à faire des preuves pour l’ordre de Malte, ont pu faire remonter leurs titres jusqu’à Gérard Colbert, écuyer, seigneur de Crèvecœur, né en 1500, et à Hector Colbert, seigneur de Magneux, trisaïeul du ministre. Ces pièces, dont quelques-unes sont antérieures à la fortune du contrôleur des finances, ont un caractère suffisant d’authenticité. D’un autre côté, il est indubitable que la famille Colbert tenait boutique à Reims ; à l’enseigne du Long-Vêtu, et qu’à la vente des draps elle avait joint un commerce considérable et très étendu de vins, de toiles, de blés ; que d’autres branches de la famille, également vouées au négoce, florissaient à Paris et à Troyes. On a remarqué enfin cette phrase écrite par Colbert dans une instruction à son fils aîné : « Mon fils doit souvent faire réflexion sur ce que sa naissance l’aurait fait être si Dieu n’avait pas béni mon travail, et si ce travail n’avait pas été extrême. » Le moyen de tout concilier est d’admettre que le père de Colbert, comme celui de monsieur Jourdain, fort bon gentilhomme d’ailleurs, « était fort obligeant, fort officieux, et, comme il se connaissait fort bien en étoffes, en allait choisir de tous les côtés, les faisait apporter chez lui, et les donnait à ses amis pour de l’argent. »

On retrouve d’ailleurs dans la jeunesse laborieuse de Colbert les traditions d’une famille vouée au gain. Son père le tire de l’école avant la fin de son éducation littéraire, et l’envoie successivement à Paris et à Lyon pour le former au commerce. Le jeune homme revient à Paris, entre en qualité de clerc chez un notaire, puis chez un procureur au Châtelet, nommé Biterne. Après ce triple apprentissage du négoce, de la