allait changer de face, et devenir une question politique intéressant au plus haut degré les relations commerciales de l’Angleterre. Deux puissances étaient lésées, toutes deux de second ordre, et que le gouvernement anglais croyait pouvoir blesser impunément. Les États-Unis, qui sont aussi producteurs de sucre, et qui n’emploient à cette culture que des esclaves, avaient été exemptés de cette distinction hypocrite, parce que l’Angleterre avait voulu éviter une collision avec la puissante république ; elle s’était au contraire cru tout permis à l’égard de l’Espagne et du Brésil. La première avait invoqué les traités qui la lient avec la Grande-Bretagne, et par lesquels cette dernière puissance s’est engagée à recevoir ses produits sur le même pied que ceux de la nation la plus favorisée ; mais, malgré l’appui éloquent de lord Clarendon, sa protestation, ses plaintes, étaient restées comme non avenues. Sir Robert Peel avait espéré sans doute avoir aussi bon marché du Brésil ; cet espoir fut trompé. Le cabinet de Rio-Janeiro répondit à la prohibition de ses sucres par le refus de renouveler le traité de commerce qui expirait le 10 novembre 1844, et qui était tout à l’avantage de l’Angleterre. La prétention du cabinet anglais de faire de la prohibition des sucres du Brésil une arme pour réprimer et abolir la traite, prétention à bon droit excessive, introduisait d’ailleurs dans le débat une complication nouvelle et des plus fâcheuses. On comprend l’importance de la question qui se discute à cette heure dans le parlement. Il ne s’agit plus seulement de savoir si l’approvisionnement du marché de la Grande-Bretagne sera réservé au monopole des planteurs anglais, si l’intérêt des consommateurs sera sacrifié à l’intérêt colonial, mais bien si, pour satisfaire un petit nombre d’individus, un riche pays dans la situation la plus favorable, si un marché de huit millions d’ames, que l’industrie britannique avait eu le monopole d’approvisionner en produits manufacturés de toute sorte, lui sera fermé.
Cette face de la question des sucres nous entraîne dans l’étude d’un sujet qui en apparence ne s’y rattache pas immédiatement, et qu’il est impossible de négliger. Pour bien connaître les rapports du Brésil avec l’Angleterre relativement à la répression de la traite, il nous faut rappeler ce qu’ont été sur ce point les rapports de la Grande-Bretagne et du Portugal dans le temps où le Brésil était une dépendance de cette dernière puissance. Ce chapitre de l’histoire de l’abolition de la traite est rempli d’enseignemens précieux pour nous. Nous y apprendrons le sort qui nous était réservé grace aux conventions de 1831 et de 1833, si là France n’eût été qu’une puissance du second ordre. En voyant comment l’Angleterre traite les faibles, nous devons nous pénétrer de la nécessité d’être forts ; à ce prix-là seulement, son alliance peut nous être honorable et utile.