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que celle du café ; mais que direz-vous du travail des esclaves dans les mines ? N’est-il pas plus cruel que la culture du sucre ? Pourquoi donc l’Angleterre admet-elle les produits des mines ? Pourquoi donne-t-elle entrée au cuivre brut ? Jusqu’en 1842, le cuivre se trouvait précisément dans la même position que les sucres étrangers. Sir Robert Peel a modifié le tarif auquel cette matière première était soumise ; il en a permis l’importation en Angleterre à un droit très peu élevé. Or, tandis que l’importation du cuivre ne dépassait pas 67 quintaux en 1837, le chiffre de cette importation, grace à cet abaissement des droits, s’est élevé en 1843 à 1,085,420 quintaux, qui ont rapporté au fisc 64,343 liv. sterl. (près de 1,500,000 fr.). »

Forcé dans ce dernier retranchement, M. Gladstone était contraint d’avouer le véritable motif de la prohibition des sucres du Brésil et des colonies espagnoles, et ce motif n’était autre que le désir de maintenir le monopole colonial. A l’argument tiré de l’admission du cuivre des mines exploitées par des esclaves, il répondit en ces termes très catégoriques : « Quant à la réduction des droits sur le cuivre brut, l’abaissement de ces droits n’a pas été opéré dans la vue de favoriser le commerce d’importation, mais pour satisfaire aux besoins des manufacturiers et pour procurer à notre industrie le bénéfice de la fonte. La différence entre le sucre étranger et le cuivre brut est très grande. Nous n’importons pas assez de sucre de nos colonies pour notre propre consommation : au contraire, la quantité de cuivre brut importée est assez grande chez nous pour que nous en exportions une partie. »

Quoi qu’il en soit, sir Robert Peel reconnut la nécessité de faire une concession à l’opinion publique ; cependant il avait si vivement reproché au plan du cabinet de lord Melbourne de donner une prime au travail esclave et d’encourager ainsi la traite, qu’il ne pouvait guère démentir si brusquement ses propres déclarations en revenant au projet même de ses adversaires. Aujourd’hui la conduite qu’il a tenue à l’occasion des lois céréales permet de supposer que, s’il eût eu toute sa liberté d’action, il n’eût pas reculé devant cette conversion ; mais l’intérêt colonial, représenté dans son cabinet par M. Gladstone et par M. Goulburn, lui défendait de la tenter. Pour sortir d’embarras, il adopta la distinction entre les produits du travail libre et du travail esclave, et l’appliqua au sucre. Par son bill du 4 juin 1844, il proposa de maintenir sur les sucres du Brésil et des colonies espagnoles le droit en quelque sorte prohibitif de 63 sh., et d’abaisser à 34 sh. le droit sur les sucres de Java, de Manille, de la Chine et de tous les autres pays où l’esclavage des noirs n’existe pas. Si les États-Unis, par une singulière anomalie, étaient rangés dans cette dernière catégorie, c’est que sir Robert Peel savait bien que cette fière république ne souffrirait pas une aussi injuste distinction. Cette réforme était illusoire, et l’opposition n’eut pas de peine à démontrer