colonies anglaises un approvisionnement suffisant, et le danger d’encourager la traite, puisque les seuls pays producteurs du sucre sur une grande échelle, le Brésil et l’Espagne par ses colonies de Cuba et de Porto-Rico, étaient aussi les seuls qui résistaient à l’abolition de cet horrible trafic. Le premier de ces argumens était désormais sans valeur. Une expérience de trois années avait démontré aux plus incrédules que Maurice et les Antilles anglaises, même en y joignant les produits du Bengale, étaient incapables de fournir à la consommation des trois royaumes, ainsi que le prouvaient d’ailleurs l’état présent de l’entrepôt et le prix sans cesse croissant du sucre sur le marché. Restait l’argument philanthropique, mis en avant par les abolitionistes, et derrière lequel s’abritaient hypocritement les planteurs et les négocians des ports de mer, également intéressés au monopole colonial. C’est aussi avec cet argument qu’ils combattirent la motion de M. Labouchère, et c’est pour le soutenir que, dans cette discussion, leur représentant dans le cabinet, M. Gladstone, fils d’un négociant de Liverpool, riche propriétaire de la Jamaïque, produisit le premier devant le parlement la distinction entre les produits du travail libre et les produits du travail esclave, inventée par l’Anti-Slavery Society[1].
« Vous repoussez les sucres du Brésil, répondaient M. Labouchère et ses amis, parce qu’ils sont produits par des esclaves ; l’Angleterre, ajoutez-vous, a fait de trop grands sacrifices en vue de détruire l’esclavage et dans son application et dans sa source, pour l’encourager par sa législation commerciale ; mais alors pourquoi recevez-vous les cafés du Brésil, qui sont aussi un des produits du travail esclave ? A cela, vous répondez que la culture du café n’alimentera jamais la traite à elle seule, qu’elle n’exige pas des esclaves, qu’elle est plus profitable, faite par des bras libres, qu’elle emploie sans inconvénient des femmes et des enfans, et que ce n’est pas pour transporter des femmes et des enfans que les négriers entreprennent leurs périlleux voyages à travers l’océan : ce sont des hommes jeunes et robustes, propres aux durs travaux des sucreries, qu’ils vont chercher en Afrique. Nous vous accordons cela. Il est vrai que la culture du sucre exige un travail plus pénible
- ↑ « Quant à la répression armée et aux stipulations des traités, l’expérience a démontré qu’elles aggravent d’une manière incalculable les maux et les cruautés de la traite, sans faire luire le plus faible rayon d’espérance sur le succès futur de tant d’efforts. Par suite de ces considérations, le comité conclut qu’on doit se borner à admettre les produits du travail libre de toutes les parties du monde sur le marché de l’Angleterre aux conditions auxquelles y sont reçus les produits des colonies anglaises, et à maintenir les droits existans sur le produit du travail des esclaves. La Grande-Bretagne a fait assez, elle a fait trop et beaucoup trop de sacrifices pour alimenter elle-même ce fléau par son commerce ; il est temps de changer de direction et de suivre une autre route. » Pétition de l’Anti-Slavery Society présentée à la chambre des communes le 9 février 1844.