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exclu du marché de la Grande-Bretagne au profit du monopole colonial. En 1831, une loi effaça le principe prohibitif, mais le laissa subsister en fait ; car, tandis que le sucre des colonies anglaises était tenu d’acquitter seulement un droit de 24 sh. (30 fr.) par quintal de 112 livres (50 kil. 8 gr.), le sucre étranger était frappé d’un droit de 63 sh. (79 fr.), ce qui équivalait à une exclusion. Cependant, à mesure que les principes de liberté commerciale gagnaient du terrain, l’abolition de l’esclavage à Maurice et dans les Antilles anglaises avait considérablement diminué la production de cette denrée de première nécessité, le prix s’en était élevé, et l’intérêt des consommateurs réclamait qu’en attendant que la production du sucre dans les Antilles redevînt suffisante pour les besoins de la métropole, le sucre de provenance étrangère fût admis à combler le déficit et à rétablir les anciens prix. Ce fut pour satisfaire à cette juste exigence que le cabinet de lord Melbourne comprit le sucre dans son plan de réforme commerciale, et proposa d’abaisser à 36 sh. (45 fr.) le droit prohibitif de 63 sh. (79 fr.), dont étaient frappés les sucres étrangers, tout en maintenant un droit différentiel de 12 sh. (15 fr.) à l’avantage des produits des colonies anglaises. Cette proposition rencontra une égale résistance chez les planteurs et chez les partisans de l’abolition de l’esclavage, et lorsque sir R. Peel, en succédant à lord Melbourne, réalisa sur une plus petite échelle son plan de réforme, il n’osa pas toucher au monopole des colonies.

Cependant l’opposition gardait cette question en réserve ; elle attendait un moment favorable pour la soumettre de nouveau au parlement, et forcer sir Robert Peel, ou d’être en dissentiment ouvert avec ses amis, et partant d’adopter la proposition faite, en 1841, par les whigs, ou d’être infidèle à ses propres principes de liberté. Le 7 mars 1844, M. Labouchère, qui avait été l’un des membres les plus influens du cabinet de lord Melbourne, présenta une motion au sujet des relations commerciales de l’Angleterre et du Brésil, et souleva à cette occasion la question des sucres avec d’autant plus d’à-propos, que le Brésil ne consentait à renouveler le traité qui le liait à l’Angleterre qu’à la condition que ses sucres, exclus par le droit de 63 sh., seraient désormais admis à un taux modéré sur le marché de la Grande-Bretagne. La proposition de M. Labouchère fut repoussée à une majorité de 73 voix : 205 contre 132 ; mais le résultat moral de la discussion lui avait été si favorable, l’expression de l’opinion publique à son égard avait été si peu équivoque, que sir R. Peel vit bien que le moment était venu pour lui de se prononcer, et, selon son habitude, prévoyant le prochain triomphe de ses adversaires, il résolut de leur dérober et l’honneur et les avantages de la victoire.

La réduction proposée par les whigs, en 1841, avait succombé sous deux argumens : la probabilité d’obtenir dans un temps peu éloigné des