M. Letronne n’hésite pas à la croire romaine, et à voir dans la colonne d’Alexandrie un exemple des colonnes triomphales, inconnues aux Grecs, telles que furent à Rome la colonne Trajane et la colonne Antonine. Il faut croire avoir de bien bonnes raisons pour oser se séparer de M. Letronne sur une question qui touche aux antiquités gréco-romaines de l’Égypte ; mais ici ma conviction ne me permet pas de faire autrement. Pour moi, la colonne d’Alexandrie est grecque ; elle n’a été élevée ni pour Dioclétien ni pour aucun autre empereur. Elle a été élevée sous un des premiers Ptolémées, en même temps que le Sérapeum, dont elle faisait partie.
Le Sérapeum était un édifice très considérable, placé dans l’acropole d’Alexandrie, édifice à la fois sacerdotal et littéraire, égyptien et grec, sur lequel j’aurai bientôt occasion de revenir. Il me semble incontestable que c’est du Sérapeumn que parlait le rhéteur Aphtonius[1], qui visita Alexandrie au IIIe ou IVe siècle, lorsqu’il disait : « Quand on entre dans la citadelle, on trouve un emplacement borné par quatre côtés égaux. Au milieu est une cour environnée de colonnes, et à cette cour succèdent des portiques. Au dedans des portiques, on a construit des cabinets ; les uns, qui servent à renfermer des livres, sont ouverts à ceux qui veulent s’appliquer à l’étude de la philosophie, et offrent à toute la ville un moyen facile d’acquérir la sagesse ; les autres ont été consacrés au culte des anciennes divinités… Au milieu de la cour s’élève une colonne d’une grandeur extraordinaire et qui sert à faire reconnaître cet emplacement, car, quand on arrive, on ne saurait pas où l’on va si cette colonne ne servait comme de signe pour reconnaître les chemins. Elle fait apercevoir la citadelle, tant sur mer que sur terre[2]. »
Cette description d’un témoin oculaire prouve évidemment, ce me semble, que dans l’intérieur du Sérapeum était une cour entourée de portiques ayant la forme d’un cloître, et qu’au milieu de cette cour s’élevait une colonne d’une grandeur extraordinaire dans laquelle, d’après cette indication même, d’après la situation du monument décrit, il est impossible de ne pas reconnaître la grande colonne qui existe encore aujourd’hui. Or, peut-on admettre qu’une colonne élevée en l’honneur de Dioclétien ou de tout autre empereur ait été après coup transportée par-dessus les bâtimens du Sérapeum et placée au milieu de la cour que les bâtimens entouraient de tous côtés ? N’est-il pas plus naturel et, je le dirai, n’est-il pas nécessaire, pour éviter une si grande invraisemblance, d’admettre que la colonne placée au milieu de la cour du Sérapeum a été élevée avec et pour le monument, et a été plus tard dédiée à Dioclétien vainqueur par les habitans de cette