et de Kufstein. La seule poésie a conquis la sympathie des masses ; elle seule en a compris et traduit les besoins ; c’est à elle qu’il faut demander ce que pense la nation. Il lui a été donné de prévoir l’avenir et de reconnaître le terrain où les partis doivent un jour se confondre. Chose étonnante ! toute la littérature actuelle des Slaves porte ce cachet de divination, et les poètes, quels que soient d’ailleurs leurs points de départ, se sont tous merveilleusement rencontrés dans la mission humanitaire, en quelque sorte sacerdotale, qu’ils assignent à la Pologne. « Croyons, s’écrie Brodzinski[1] dans son Message aux Frères dispersés, croyons que le royaume de Pologne ressuscité apportera au monde le royaume de la paix. Croyons qu’à son exemple les nations et les gouvernemens agiront selon l’esprit de Jésus-Christ, comme agit ou doit agir tout chrétien envers ses frères. Attendris-toi en pensant à ta patrie, ô frère polonais ! attendris-toi, car Dieu l’a choisie pour l’instrument de son grand œuvre. Le tyran détruit notre génération, il la disperse comme le grain par le monde ; mais de ce grain sortira l’arbre du salut. Eh ! qui nous dit qu’en ce moment le Moscovite n’élève pas lui-même celui qui doit tirer son peuple de la maison de servitude ? La venue de Moïse, comme celle de Jésus-Christ, a été marquée par le massacre des enfans. Le tsar ne vient-il pas de hâter l’heure des grandes choses par le martyre de nos enfans ? Veillez donc, ô mères ! ô maîtres et prédicateurs ! veillez et attendez dans le désir, car vous ne savez ni l’instant ni le lieu où vous pouvez être appelés. Veillez, hommes simples ! et toi, héros au grand cœur ! et toi, faible femme ! écoutez et veillez, et surtout ayez un cœur incliné vers celui-là qui seul peut donner la grace et la possibilité de la recevoir.
Le spectacle de cette littérature appuyée sur l’enthousiasme, sur la sincérité, sur une religieuse obéissance au vrai, est digne assurément de l’attention de la France. Ici tout est vivant et actuel, tout surprend comme un site inattendu ; il y a jeunesse et puissance, il y a cette fraîcheur dans la force qu’on ne rencontre que chez les natures vierges. Ce n’est pas qu’il ne s’y mêle souvent quelque chose de confus et de vague qui voile les contours, qui dérobe, en les idéalisant, les cimes de la pensée ; mais l’obscurité ne dure pas toujours ; le soleil et la vie reviennent par soudaines échappées ; on entend bientôt retentir le clairon d’une muse mystique et chevaleresque. L’action ! toute la poésie moderne est dans ce mot. Le chant du poète est, comme sa vie, un combat, une action ; tout en lui tend vers ce but unique. La parole, selon l’anonyme auteur de la Comédie infernale, est une trahison ou une preuve d’impuissance ; il faut agir et non parler ; il faut employer à créer tout le feu dont on est doué. L’art n’est point un délassement, mais une mission sainte ; son œuvre est l’œuvre même du devoir. Il n’est point ici question d’un peuple berçant aux sons de la lyre les heures oisives d’une civilisation fatiguée ; ce peuple souffre, il se lève et marche ; le poète se lève et marche avec lui, le luth d’une main, l’épée de l’autre. Semblable à ces musiciens guerriers dont les fanfares éclatent au front des armées, il réveille les courages, ranime les défaillances, provoque aux bouillantes audaces ; il sait consoler
- ↑ Brodzinski est mort en exil à Dresde. Outre le Message aux Frères dispersés et un magnifique Discours sur la nationalité, il a laissé un nom vénéré et cher à tous les Polonais.