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L’un des Polonais se leva en criant : « Ils n’ont point blasphémé, et nous ne vous craignons pas. Ils disent la vérité, et mes frères et moi-même avons vu l’ange triste. »

Et le prince de toute force et de toute puissance, l’homme vêtu de pourpre, fit un geste et dit : « Paix aux hommes de bonne volonté ! qu’ils prient, car la messe a commencé. Le temps s’écoule trop rapide, et aujourd’hui il faut des prières sur la terre et au ciel. »

Et tous nous nous sommes mis à prier dans une grande attente.

Et devant nous le saint-père était assis sur son trône.

De nouveau se sont élevées des chapelles des voix semblables à des chœurs d’anges enivrés de jouissances célestes. Une partie de la nuit s’était écoulée. Les prêtres, vêtus de blanc, se sont approchés et ont tendu les mains vers le saint-père. Il est descendu du trône, et s’est avancé vers l’autel, et a pris entre ses mains le calice, car le moment du saint sacrifice approchait. L’homme vêtu de pourpre lui versa du vin.

Et au moment même de l’élévation, quand tous étaient prosternés le front sur le marbre, on a entendu comme une voix dans l’air qui disait : « Je suis, » et lorsqu’en tremblant nous avons relevé la tête, tous ont pu voir une figure grandiose se tenant debout contre la porte du centre. Lentement elle disparaissait, pas à pas elle s’effaçait comme une vapeur que le vent dissipe ; ses mains et ses pieds étaient ensanglantés, tout son corps était blanc comme la neige, et, comme la neige se fondant par degrés, il disparut bientôt.

Alors, et pendant que le pape, tenant encore en main le calice, n’osait prononcer les dernières paroles, l’homme vêtu de pourpre dit : Ite, missa est, et après il s’écria d’une voix retentissante : Les temps sont accomplis ! Puis, déchirant sa robe de pourpre sur sa poitrine, il étendit la main vers le tombeau de saint Pierre, en disant : « Réveille-toi et parle ! »

De chaque lampe placée au-dessus du tombeau, il sortit une langue de feu, et au-dessus des ténèbres de la tombe se balançait une couronne de flammes du fond du tombeau se dressa un corps tendant ses mains vers les voûtes. Debout, n’élevant hors du gouffre sépulcral que sa tête et sa poitrine, il s’écria : « Malheur ! »

À ce cri, il nous a semblé que, pour la première fois, les voûtes de la coupole se lézardaient.

Et l’homme vêtu de pourpre lui dit : « Pierre, me reconnais-tu ? »

Et le corps répondit : « A la dernière cène, ta tête reposait sur la poitrine du Seigneur, et tu n’es jamais mort sur la terre. »

Et l’homme vêtu de pourpre reprit : « A présent, il m’est ordonné de demeurer au milieu des hommes, d’embrasser le monde, de le serrer contre ma poitrine comme le Seigneur serra ma tête le dernier soir. »

Et le corps répondit : « Fais ainsi qu’il t’a été ordonné. »

Alors l’homme vêtu de pourpre fit un geste comme le prince de toute force, et le corps répéta : « Malheur à moi ! » et avec un grand bruit il retomba dans le gouffre noir du tombeau, et les voûtes commencèrent à se détacher.

Tous étaient effrayés ; seuls les Polonais regardaient d’un œil calme et hardi, appuyés sur leurs sabres.