nations passant et repassant ; j’entends leur voix et l’écho de leurs pas. Sans se détourner, elles marchaient, et, quand elles se rencontraient, il s’élevait un bruit frémissant, et quelquefois comme un doux chant de paix, et elles s’avançaient toujours, toujours vers l’horizon sans bornes. Au-dessus d’elles, la lune brillait comme un énorme et pâle soleil, et toutes les étoiles les regardaient d’en haut avec leurs prunelles de diamant.
Et au milieu de ces nations j’ai aperçu une poignée d’hommes couverts d’habits de deuil, et portant un étendard sur lequel était écrit : Nation. C’étaient les derniers d’une dernière génération ; ils marchaient lentement, comme derrière un convoi. Ils s’avançaient aussi vers l’infini. Et partout où ils rencontraient d’autres masses, c’était avec des débris de sabres qu’ils se frayaient le chemin. Beaucoup d’entre eux traînaient encore à leurs pieds et à leurs mains, des restes de chaînes ; sur leurs traits était une affreuse pâleur, une terrible fatigue. Ils portaient avec eux des enfans expirans ; d’autres tenaient dans leurs bras des femmes évanouies, ressemblant à des anges visités par la mort. Beaucoup d’entre eux marquaient leur passage par des traces de sang ; sur leurs poitrines, j’ai vu des plaies, sur leurs fronts des couronnes d’épines ; dans leurs mains ils tenaient comme des croix entourées de fleurs flétries, et comme des tombes ils étaient silencieux. Ils combattaient sans cris, ils tombaient sans plaintes, ils triomphaient sans chants de victoire. Sans se plaindre, ils marchaient à un nouveau combat et à la mort !… J’ai regardé long-temps si quelqu’un ne les saluait pas d’une parole compatissante, d’un regard, d’un serrement de main fraternel ; — mais non, jamais nulle part personne ne leur a tendu la main ; nul ne leur a fait place, pour que ces mourans pussent passer en paix. Les nations en masse, comme de noires murailles, leur barraient le chemin, comme de noirs torrens faisaient couler devant eux leurs ondes menaçantes, et comme des nuées d’oiseaux de proie fondaient sur leurs cadavres renversés.
Un regret a tordu mon cœur, des torrens de larmes ont coulé de mes yeux. Alors j’ai compris les plaintes lugubres de la cathédrale, ces accords souterrains s’élevant au ciel : c’était le chant de mort de ce peuple ! Et de l’intérieur du clocher la voix me cria : « Césara, Césara, voilà un peuple qui quitte la terre et qui ne reviendra jamais
Et quand j’ai regardé de nouveau, entourés de toutes parts, ils combattaient sans espoir. Et cette lune large, brillante comme un soleil, les inondait de ses rayons, et au-dessus d’eux et de leurs ennemis était suspendu un brouillard sillonné d’éclairs. La mêlée était terrible, sanglante. Toutes les balles, tous les coups portaient ; mais, pour eux, leurs glaives, leurs flèches, égarés dans les ténèbres, frappaient sans tuer. Angoisse à nulle autre pareille !
Et chacun d’eux a soulevé son enfant en disant : « Retourne à Dieu, pauvre orphelin ! » Et pour un instant il m’a semblé que la lune devenait pâle et s’obscurcissait. Une large ouverture bleue s’est creusée dans le ciel, et par là tous les enfans se sont envolés comme un essaim d’anges éblouissans, et, quand ils eurent tous disparu, le ciel se referma ; la lune de nouveau s’enflamma en jetant une lueur ensanglantée, et, plus terrible, plus acharné, le combat recommença sur la terre !
Et je vois le nombre des morts qui toujours, toujours augmente ! et cependant pas un ne jette bas son arme, pas un ne pousse un cri. Ils ne demandent ni