officielles que l’apothéose de cette force brutale sous laquelle a succombé sa patrie. Et Celinski ! il y a bientôt dix ans qu’il a cessé de vivre, et c’est aujourd’hui seulement que nous apprenons que la Pologne a perdu en lui un poète et un penseur. Quel pays offrirait de plus nombreux exemples de ce dédain de la célébrité, de cet oubli de soi-même dans le sentiment du devoir et de l’affliction nationale ? Que de noms encore à citer ! que de vrais poètes par leur vie et qui ont quitté la plume de l’écrivain ou l’arme du soldat pour l’instrument obscur de l’artisan ! Hommes d’énergique patience, hommes de sacrifice et d’amour dont nous ne pouvons dévoiler l’existence résignée, mais que nous saluons du moins en passant de notre plus sincère hommage !
Les poèmes de l’auteur anonyme, où la pensée religieuse revêt des images symboliques et s’élève jusqu’au ton de la prophétie, tranchent, par la forme et surtout par le fond, avec les habitudes reçues de notre littérature. Nous ne connaissons rien dans notre langue qui rappelle immédiatement ces compositions. Pour bien comprendre l’œuvre des poètes modernes de la Pologne, il ne faut pas oublier qu’on se trouve en présence d’écrivains réellement convaincus et pieux, catholiques dans la signification primitive du mot. On ne devra pas oublier non plus que ces écrivains, de même que le peuple auquel ils s’adressent, croient à l’esprit, à la communion des ames avec les régions supérieures, que le spiritualisme n’est pas relégué chez eux dans la sphère purement spéculative, mais que, sanctifiant toutes choses, il se retrouve dans les actes les plus ordinaires de la vie. Aussi leurs poèmes nous montrent-ils nombre de personnages invisibles accomplissant un rôle à côté de personnages vivans et terrestres. Et ici ce n’est point comme machine poétique que l’artiste les met en scène ; ce ne sont point des figures allégoriques, mais des êtres réels et qu’il n’hésite pas à nous présenter, parce que, tout le premier, il les respecte et les vénère. Il ne se croit pas permis d’écrire au nom d’une inspiration qu’il n’a pas ressentie, et, s’il nous parle de la Vierge, des anges, des démons, des mystères de la nature invisible, c’est qu’il s’y est lui-même élevé en esprit. Saint-Martin n’a-t-il pas écrit quelque part qu’on ne devrait composer des vers qu’après avoir fait un miracle ? Si nous interprétons bien sa pensée, il exige de l’homme, avant de faire usage de la langue sacrée, qu’il ait assisté à une manifestation portant tous les signes de la présence immédiate de cette divinité que nous appelons inspiration. Ces conditions du théosophe français, personne ne les accepte plus volontiers que le poète polonais. C’est en ce sens qu’on a pu dire avec quelque vérité que le Rêve de Césara n’est pas un ouvrage d’art, mais une prophétie écrite sous l’empire d’une véritable vision. Césara n’est pas une création allégorique : c’est le poète lui-même, qu’une puissance supérieure a entraîné dans un monde surnaturel, et qui s’empresse, à son retour sur la terre des vivans, de communiquer à ses frères les précieuses révélations de l’extase.
On comprend maintenant combien la poésie est chose sainte pour l’auteur anonyme de la Comédie infernale, et quelles dispositions il faut apporter sur le seuil de son mystique monument. Il convient de nous effacer maintenant pour faire place au poète, qu’on jugera par ses œuvres.