doué, il a été peu goûté de sa génération. Il doutait trop de l’avenir pour être accepté de ce peuple qui vit d’enthousiasme et de foi. Sa résignation est des plus accablées. M. Mickiewicz a classé parmi les écrivains slaves de la Bohême et des contrées danubiennes ce noble esprit, qui ne s’est associé à aucune tentative politique, et qui n’a partagé aucune des espérances de ses intrépides et malheureux compatriotes.
Après la chute de la Pologne (1795), quelques familles riches se prirent d’une généreuse sollicitude pour l’enseignement public. On fonda des bibliothèques, des écoles, des sociétés savantes ; mais la poésie resta stérile, car elle se contentait toujours de traduire et d’imiter. Cette période, où tous les livres que produit la Pologne sont dus à l’inspiration étrangère, a été spirituellement appelée, par le célèbre critique Mochnacki, période d’alluvion. La vie littéraire semble ne retrouver son énergie généreuse que loin du sol natal. Ce n’est que dans l’exil, au milieu des légions de l’armée d’Italie et de l’empire français, que s’élèvent encore des chants passionnés. Hymnes de guerre, lyriques effusions, ils ont été pour la plupart improvisés dans les camps. Beaucoup sont d’auteurs inconnus, et ce ne sont pas les moins beaux. Les écrivains-soldats Godebski, Gorecki, les deux Brodzinski, dont le plus jeune a trouvé la mort dans les rangs de la grande armée, font entendre alors les accens d’une muse naïve et fière. Leur poésie se débarrasse des formes convenues ; dépouillant l’image païenne, elle ne rougit pas du mot propre, et ce retour à la simplicité lui vaut d’être chantée par le peuple.
On sait quelles espérances la Pologne avait fondées sur la république française. Plus tard, son dévouement à l’idée napoléonienne fut sans bornes. Elle rêvait par l’empereur son rétablissement futur ; elle comptait se frayer à sa suite un chemin à la nationalité. Quand Bonaparte, après les victoires d’Italie, traita de la paix avec le cabinet de Vienne, elle en conçut une profonde douleur, car elle attendait tout de la guerre. La muse polonaise, à partir de ce moment, garde un morne silence ; une tristesse lourde pèse sur les esprits. Les poètes et le peuple ne désespèrent pas encore, mais ils ne chantent plus. Une immense lassitude succède à un immense espoir. Enfin arrive la journée de Waterloo ; avec l’empire croulent les plus hautes illusions. Cette chute terrible, l’ébranlement général qui en résulte, mille rêves tout d’un coup déçus, amènent dans la littérature une nouvelle transformation, où l’on voit figurer d’abord l’auteur des Chants historiques, Julien Niemcewicz[1]. Ce n’est plus une protestation véhémente et manifeste, c’est un combat sourd et déguisé contre un gouvernement oppressif. La lutte se voile sous la satire, mais on y sent vibrer une fiévreuse ironie. Les censeurs les plus éveillés ne pouvaient comprendre ce qu’un public intéressé devait saisir au premier mot. Les écrits les plus goûtés de cette période, remplis d’allusions aux personnes et aux choses, sont en général peu intelligibles, et n’ont de valeur que celle du moment[2].
- ↑ Il est mort il y a trois ans à Montmorency.
- ↑ Voici quelques paroles d’une railleuse amertume qui se chantaient au milieu des arrestations et des procès politiques du temps : « Nous irons sans doute jouir du reste de notre carnaval au Kamtchatka. Quel beau pays ! Jean, lève-toi ! Il est dix heures ; le jour commence à peine à paraître ; lève-toi, et fais atteler les chiens aux traîneaux. »