LES FEMMES DU CAIRE. 31
flottans disposés autour de la selle. Ensuite venait un vieillard symbolique à longue barbe blanche, couronné de feuillages, assis sur une sorte de char doré, toujours à dos de chameau, — puis le Mahmil, se composant d’un riche pavillon en forme de tente carrée, couvert d’inscriptions brodées, surmonté au sommet et à ses quatre angles d’énormes boules d’argent.
De temps en temps, le Mahmil s’arrêtait, et toute la foule se prosternait dans la poussière en courbant le front sur les mains. Une escorte de cavasses avait grand’ peine à repousser les nègres, qui, plus fanatiques que les autres musulmans, aspiraient à se faire écraser par les chameaux ; de larges volées de coups de bâton leur conféraient du moins une certaine portion de martyre. Quant aux santons, espèces de saints plus enthousiastes encore que les derviches et d’une orthodoxie moins reconnue, on en voyait plusieurs qui se perçaient les joues avec de lon- gues pointes et marchaient ainsi couverts de sang ; d’autres dévoraient des serpens vivans, et d’autres encore se remplissaient la bouche de charbons allumés. Les femmes ne prenaient que peu de part à ces pratiques, et l’on distinguait seulement, dans la foule des pèlerins, des troupes d’aimées attachées à la caravane qui chantaient à l’unisson leurs longues complaintes gutturales, et ne craignaient pas de montrer sans voile leur visage tatoué de bleu et de rouge et leur nez percé de lourds anneaux.
Nous nous mêlâmes, le peintre et moi, à la foule bigarrée qui suivait le Mahmil, criant Allah ! comme les autres aux diverses stations des chameaux sacrés, lesquels, balançant majestueusement leurs têtes parées, semblaient ainsi bénir la foule avec leurs longs cols recourbés et leurs hennissemens étranges. A l’entrée de la ville, les salves de canon recommencèrent, et l’on prit le chemin de la citadelle à travers les rues, pendant que la caravane continuait d’emplir le Caire de ses trente mille fidèles, qui avaient le droit désormais de prendre le titre d'hadjis.
On ne tarda pas à gagner les grands bazars et cette immense rue Salahieh, où les mosquées d’El-Hazar, El-Moyed et le Moristan étalent leurs merveilles d’architecture et lancent au ciel des gerbes de minarets entremêlés de coupoles. A mesure que l’on passait devant chaque mosquée, le cortège s’amoindrissait d’une partie des pèlerins, et des montagnes de babouches se formaient aux portes, chacun n’entrant que les pieds nus. Cependant le Mahmil ne s’arrêtait pas ; il s’engagea dans les rues étroites qui montent à la citadelle, et y entra par la porte du nord, au milieu des troupes rassemblées et aux acclamations du peuple réuni sur la place de Roumelieh. — Ne pouvant pénétrer dans l’enceinte du palais de Méhémet-Ali, palais neuf, bâti à la turque et d’un assez médiocre effet, je me rendis sur la terrasse d’où l’on domine tout le Caire. On ne peut rendre que faiblement l’effet de cette perspective, l’une des