apparaît au haut de la montagne à la tête de son armée, et dont le nom est resté dans l’imagination populaire entouré de ce même prestige qu’avait pour l’Allemagne celui de Frédéric Barberousse. Tous les chants héroïques ou historiques que l’auteur a mis en ordre à côté des chants religieux et des chants domestiques sont les divers chapitres de l’histoire de cette résistance avant et après l’adjonction de la Bretagne à la France jusqu’à l’époque où Pontcalec périt dans la conspiration de Cellamare, où Tinteniac, cette autre victime, tombe dans une bataille contre les bleus. Pour avoir une idée de l’énergie passionnée de cette poésie populaire, il suffit de connaître le mot d’un vieillard rapporté par M. de la Villemarqué. « Plusieurs d’entre ces chansons, disait-il, ont une vertu, voyez-vous ; le sang bout, la main tremble et les fusils frémissent d’eux-mêmes rien qu’à les entendre. » Aussi le Breton est-il presque aussi jaloux de ses chansons que de sa nationalité. Cela explique cette guerre de géans dont parlait Napoléon ; c’était la dernière bataille livrée par un peuple encore plein des souvenirs fortifians du passé, et qui cherchait vainement à ressaisir son antique existence.
Les chants domestiques et les chants religieux n’ont pas moins de valeur, non-seulement comme peinture de mœurs locales, mais encore comme expression générale de sentimens. Nous parlions des différences qui existent entre la poésie populaire et la poésie du poète, si l’on peut ainsi dire ; il est cependant des momens où elles se rejoignent ; elles retrouvent parfois les mêmes accens. Qui ne se souvient des adieux de Roméo et de Juliette ? La même scène est presque littéralement dans la chanson de la Ceinture des Noces. L’amant, près de partir pour la guerre, vient voir sa fiancée Aloïda. « Quand l’aurore vint à paraître, continue le poète, le chevalier lui dit : — Le coq chante, ma belle, voici le jour. — Impossible ! mon doux ami, impossible ; il nous trompe ; c’est la lune qui luit, qui luit sur la colline. — Sauf votre grace, j’aperçois le soleil à travers les fentes de la porte ; il est temps que je vous quitte, il est temps que j’aille m’embarquer. » Ailleurs, c’est avec Dante que lutte l’obscur poète des bruyères, dans la description de l’Enfer. « L’enfer est un abîme profond plein de ténèbres où ne luit jamais la plus petite clarté. Les portes ont été fermées et verrouillées par Dieu, et il ne les ouvrira jamais ; la clé en est perdue… - Ce feu-là, c’est la colère de Dieu qui l’a allumé, et il ne pourrait plus l’éteindre quand même il le voudrait. Jamais il ne jettera de fumée et jamais il ne se consumera ; il les brûlera éternellement sans jamais les détruire… » N’y a-t-il pas là comme un souvenir du fatal Lasciate ogni speranza !… que certes l’auteur populaire ne connaissait pas ?
Comme on voit, M. de la Villemarqué a fait une œuvre de critique élevée et utile pour l’art en recueillant les chants bretons. Il ne faut pas s’y tromper cependant, c’est la poésie du passé et d’un passé qui ne renaîtra pas. Ce serait une vaine espérance de croire à son avenir désormais. Pour qu’on en pût juger autrement, il faudrait que la Bretagne fût ce qu’elle a été, ce qu’elle n’est plus aujourd’hui. Ces Chants même en donnent la preuve ; les plus récens, et entre autres le Prêtre exilé, qui date de 93, offrent sans aucun doute bien moins d’originalité que les plus anciens, ceux qui ont été faits dans le temps où la Bretagne luttait encore pour garder intacte sa nationalité, et où la France était vraiment pour elle une terre étrangère. C’est un grand et touchant spectacle que celui d’un peuple combattant pendant des siècles pour rester fidèle à sa vie